Il est, dans l’année, trois circonstances, trois fêtes solennelles où tous les morts de chaque région se donnent rendez-vous :
l° La veille de Noël ;
2° La nuit de la Saint-Jean ;
3° Le soir de la Toussaint.
La nuit de Noël, on les voit défiler par les routes en longues processions. Ils chantent avec des voix douces et légères le cantique de la Nativité. On croirait, à les entendre, que ce sont les feuilles des peupliers qui bruissent, si, à cette époque de l’année, les peupliers avaient des feuilles.
A leur tête marche le fantôme d’un vieux prêtre, aux cheveux bouclés, blancs comme neige, au corps un peu voûté. Entre ses mains décharnées, il porte le ciboire.
Derrière le prêtre vient un petit enfant de chœur qui fait tinter une minuscule clochette. La foule suit, sur deux rangs. Chaque mort tient un cierge allumé dont la flamme ne vacille même pas au vent.
On s’achemine de la sorte vers quelque chapelle abandonnée et en ruines, où ne se célèbrent plus d’autres messes que celles des âmes en peine.
Autrefois, pour se rendre au bourg des fermes situées eu pleine campagne, il n’y avait que de mauvais petits chemins qu’on appelait des garennes.
C’est par là que les gens allaient à la messe, le dimanche, par là aussi que les morts allaient au cimetière. En hiver, quand ces chemins étaient défoncés par les pluies, on prenait par le champ voisin pour franchir le mauvais pas.
De là tant de sentiers longeant les vieilles routes, dans la campagne bretonne, et paraissant faire avec elles double emploi. De là tant d’échaliers aux marches de pierre, encastrés dans les talus, pour en permettre ou pour en faciliter le passage.
Plus tard, on construisit des routes meilleures, et les anciennes furent abandonnées des vivants.
Mais les morts, c’est-à-dire les convois funèbres, continuèrent d’y passer. On eût cru commettre un sacrilège, en conduisant un homme à sa dernière demeure par une autre voie que celle où l’avaient précédé ses père grand-père, vieux-père (bisaïeul), doux-père (trisaïeul) et tous ses aïeux, de temps immémoriaux.
Ces chemins, désormais fréquentés par les seuls enterrements, reçurent le nom de chemins de la mort (hent ar Maro).
Malheur au propriétaire assez mal avisé pour vouloir interdire, sur ses terres, l’accès d’une de ces voies sacrées. Cela n’était pas sans conséquence car un convoi funèbre ne devait jamais passé deux fois au même endroit sous peine de provoquer les pires calamités. Aussi dans la ville de Châteaulin à l’époque où il n’y avait qu’un seul pont pour traverser l’Aulne, fut-il décidé de construire une chapelle face à l’église de la ville mais de l’autre côté du fleuve. Cela permettait aux convois funèbres, lorsque le défunt mourait du mauvais côté du fleuve par rapport à l’église, de ne pas traverser le pont dans les deux sens ce qui l’aurait sans nul doute fait s’écrouler.
Châteaulin possédait deux chemins de la mort. Le premier va de Parc-Bihan vers Saint-Idunet, à travers la plaine. Avant l’extension de la ville, le fantôme d’un voleur s’y promenait les nuits sans lune, proposant une bourse pleine d’or à qui le rencontrait. Mieux valait ne pas accepter sous peine de venir remplacer le voleur dans sa pénitence lors de sa propre mort.
L’autre chemin de la mort va de l’ancienne ferme du Vieux Bourg à la chapelle Notre-Dame. Il n’était pas rare d’y rencontrer des âmes de trépassés qui imploraient les prières des passants.
À la fin du siècle dernier, un paysan du Vieux Bourg revenait de son labour à la tombée de la nuit avec son cheval en passant par ce chemin, lorsque tout-à-coup, la bête se cabra et refusa d’avancer tandis qu’un cierge allumé flottait dans l’air juste devant eux. Devant ce prodige, le paysan fit une prière pour les défunts. La vision disparut sitôt qu’il eût terminé et il put rentrer chez lui.
SAINT SEBASTIEN A ST SEGAL
Au temps où les grandes pestes sévissaient en Bretagne, st Sébastien voulut s’établir en la paroisse de Dinéault. Il avait jeté son dévolu sur un terrain non loin des maisons de Gouspagne. Or un jour, il vint puiser de l’eau à la fontaine de ce village et y annonça la prochaine construction de sa chapelle. Mais les femmes habituées à laver leur linge à cette fontaine ne trouvèrent pas ce projet à leur goût. Elles ne prisaient guère un saint qui blamait vertement leurs bavardages sans charité, aussi lui dirent-elles que l’église du bourg et la demi-douzaine de chapelles existant déjà leur suffisaient.
St Sébastien quitta cette paroisse, traversa l’Aulne et alla bâtir sa chapelle de l’autre côté non sans avoir lancé cette petite phrase assassine : « Tant qu’il y aura des femmes à Gouspagne, il y aura des filles mères ».
D’après « Légendes de l’Argoat » de B. de Parades.
Il était presque neuf heures et la petite Katell ne dormait toujours pas. Depuis la fenêtre de sa chambre, elle pouvait voir la lune se refléter sur la mer dans la baie de Douarnenez. C'était un spectacle magnifique, mais aujourd'hui, elle s'en désintéressait.
Lorsque sa maman passa pour voir si tout allait bien, elle la trouva les yeux grand ouverts, tenant fermement son drap avec ses deux petites mains jusque par dessus son nez.
La mère comprit tout de suite que quelque chose n'allait pas.
– Et bien Katou, tu ne dors pas ?
– J'ai peur maman.
– Peur de quoi ma chérie ?
– De faire des cauchemars.
– Ah mais c'est vrai que je ne t'ai pas encore expliqué comment ça marchait les rêves. Vois-tu, lorsque nous nous endormons, deux personnages s'affrontent dans la maison : le kevnid-noz qui amène les cauchemars et le fournisseur de jolis rêves. Si le kevnid-noz gagne, on fait des cauchemars et si c'est le fournisseur de jolis rêves qui l'emporte, on passe une belle nuit.
– A quoi ça ressemble un kevnid-noz ?
– C'est un teuz maléfique qui a la fâcheuse habitude de se transformer en grosse araignée poilue. Il vient de dehors et se cache dans les recoins sombres. Si le fournisseur de beaux rêves le laisse s'installer, il envoie des cauchemars à tout le monde. Heureusement, le fournisseur de beaux rêves le repère pratiquement tout le temps avant qu'il ne puisse se cacher et le chasse.
– Mais c'est qui ce fameux fournisseur de beaux rêves dont tu parles tant ?
– Tu le connais très bien, tiens d'ailleurs le voilà qui vient t'aider à bien dormir.
A ce moment précis, le petit chat roux de la maison, Tyrion, fit son entrée dans la chambre de Katell et sauta sur son lit.
– Tyrion ? C'est Tyrion le fournisseur de jolis rêves ?
– Bien sûr ! N'as-tu jamais remarqué que tu avais bien dormi quand le matin tu te réveilles et que tu le trouves sur ton lit ?
– Oui c'est vrai ! Maintenant que tu me le dis ! Chaque fois qu'il vient me voir je dors très bien. Oh merci Tyrion !
– Tu sais tu peux aussi l'aider en pensant à ce à quoi tu aimerais bien rêver. Et si Tyrion ne vient pas tout de suite, il s'est frotté suffisamment souvent à tes peluches pour que son odeur seule suffise à empêcher le kevnid noz de venir.
Katell prit le petit chat dans ses bras et l'installa près de son oreiller.
L'animal commença à ronronner avant de pétrir le matelas et de se pelotonner en une mignonne boule de fourrure.
La petite fille se détendit alors que sa mère quittait sa chambre sur la pointe des pieds. Les cauchemars ne lui faisaient plus peur désormais. Elle savait que son chat était là pour la protéger et qu'elle ne craignait plus rien.
Elle posa sa tête sur son oreiller, tournée vers la fenêtre de sa chambre.
Alors que, dehors, la lune illuminait la baie de Douarnenez, Katel se félicita d'avoir son propre fournisseur de jolis rêves. Elle s'endormit confiante en ceux qu'elle n'allait pas tarder à faire.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
Qui meurt de mort violente doit rester entre vie et mort jusqu’à ce que se soit écoulé le temps qu’il avait naturellement à vivre.
Des marins de Douarnenez pêchaient une nuit dans la baie, au mouillage. La pêche terminée, ils voulurent lever l’ancre. Mais tous leurs efforts réunis ne purent la ramener. Elle était accrochée quelque part. Pour la dégager, l’un d’eux, hardi plongeur, se laissa couler le long de la chaîne.
Quand il remonta, il dit à ses compagnons :
— Devinez en quoi était engagée notre ancre ?
— Hé ! Parbleu ! Dans quelque roche.
— Non. Dans les barreaux d’une fenêtre.
Les pêcheurs crurent qu’il était devenu fou.
— Oui, poursuivit-il, et cette fenêtre était une fenêtre d’église. Elle était illuminée. La lumière qui venait d’elle éclairait au loin la mer profonde. J’ai regardé par le vitrail. Il y avait foule dans l’église. Beaucoup d’hommes et de femmes avec de riches costumes. Un prêtre se tenait à l’autel. J’ai entendu qu’il demandait un enfant de chœur pour lui répondre la messe.
— Ce n’est pas possible ! s’écrièrent les pêcheurs.
— Je vous le jure sur mon âme !
Il fut convenu qu’on irait conter la chose au recteur.
Ils y allèrent, en effet.
Le recteur dit au marin qui avait plongé :
— Vous avez vu la cathédrale d’Ys. Si vous vous étiez proposé au prêtre pour lui répondre sa messe, la ville d’Ys toute entière serait ressuscitée des flots et la France aurait changé de capitale.
En Cornouaille bretonne, les enfants morts sans baptême errent dans l’air sous la forme d’oiseaux. Ils ont un petit cri plaintif comme un vagissement.
On les prend souvent pour des oiseaux véritables, mais les vieilles gens ne s’y trompent point.
Ils attendent ainsi, disséminés dans l’espace, que vienne la fin du monde. Saint Jean le Baptiseur leur administrera alors le sacrement qui leur manque : après quoi, ils voleront tout droit au ciel.
Les saintes avant d’entrer au Paradis peuvent passer par les limbes pour voir leurs enfants, morts sans baptême, les saintes, surtout, qui ont beaucoup prié pour les âmes abandonnées.
Soyez les bienvenus, oui, soyez les bienvenus sur une de mes nombreuses plages de sable fin. Laissez-moi vous bercer alors que vous vous allongez à l'ombre des rochers. Je suis l'océan éternel.
J'étais là bien avant vous et le serai encore bien après. J'ai vu les premières créatures vivantes, vos très très lointains ancêtres.
Je suis celui sans qui vous n'existeriez pas, celui qui vous nourrit quand vous avez faim et qui vous rafraîchit lorsque le soleil tape trop fort.
Je suis votre naissance et parfois votre mort.
Ne m'en veuillez pas, j'ai été créé ainsi, je n'y peux rien.
Dans mes profondeurs reposent des villes englouties aux mille dragons qui n'attendent que de se réveiller. Vous seriez terrifiés de connaître tout ce que je sais, mais aujourd'hui je ne souhaite pas vous effrayer.
Laissez-vous aller. Écoutez comme le bruit régulier de mes vagues vous apaise. Oubliez vos soucis. Sentez le confort du sable qui accueille la serviette sur laquelle vous vous allongez. Détendez-vous. J'ai vu tous ceux qui vous ont précédés. Courir après le temps ne les a pas fait vivre plus longtemps.
Vos pieds ne sont plus serrés dans des chaussures et ma petite brise marine s'amuse à passer entre vos orteils. Vos talons sont confortablement installés dans le sable de la plage et vos chevilles se reposent enfin après avoir supporté le poids de votre corps toute la journée. Elles l'ont bien mérité.
Laissez les enfants vous recouvrir de sable. Ces petits grains de roche façonnés par mon eau pendant des millions d'années possèdent des vertus insoupçonnées. Sentez leur chaleur qui enveloppe vos jambes maintenant.
La houle continue d'amener des vagues à intervalles réguliers. Grondant au large, je leur interdit de vous déranger, aussi viennent-elles disparaître sur le rivage dans un simple chuchotement. Elles ne sont là que pour vous plaire : vous caresser si vous vous baignez ou vous bercer si vous restez allongés. C'est vous qui choisissez.
Laissez-vous aller. Laissez ma brise salée vous susurrer des histoires accumulées pendant des milliers d'années. Elle vous racontera celles de ces marins partis faire le tour du monde, celles de ces trésors qu'ils ont trouvés et celles aussi de ces créatures fabuleuses qu'ils ont rencontrées.
Le sommeil vous gagne et c'est normal. Vous voilà impatients de rêver à tout ce que vous imaginez. Les sirènes vous attendent. Vos yeux vous piquent d'un sable magique qui n'est pas le mien. Reposez-vous. Tout votre corps se détend maintenant, le somme qui vient vous permettra de me rejoindre hors du temps et je vous accueillerai comme un de mes enfants.
Endormez-vous que je puisse vous montrer des merveilles que vous n'auriez jamais soupçonnées. Je suis l'océan présent de toute éternité.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
La croyance populaire attribuant à la prétendue ponte du coq des œufs d'une forme particulière trouvés parfois dans les poulaillers est ancienne et non spécifique à la Basse-Bretagne. Les naturalistes s'accordent désormais à dire que ces œufs sont des germes avortés provenant de poules trop jeunes ou trop vieilles.
Au Moyen Âge, et selon des traditions encore vivantes en Bretagne, Poitou et le centre de la France, l'œuf de coq était associé à des propriétés fantastiques. On croyait qu'il pouvait donner naissance à un animal étrange ou malfaisant, appelé la codrille ou cocadrille. En Poitou, cet œuf, produit par l'accouplement de la poule avec un serpent ou un crapaud, était considéré comme dangereux. Selon les légendes, un serpent pouvait éclore de l'œuf de coq si celui-ci était couvé.
L'œuf de coq était également perçu comme un instrument de sorcellerie. En 1474, à Bâle, un coq accusé d'avoir pondu un œuf d'où était sorti un serpent ailé, ou basilic, fut condamné à mort et brûlé en place publique avec l'œuf. Un ouvrage de 1709, intitulé Phœnix visus et auditus, décrit la cocadrille comme un animal fantastique, mais il est probable que l'auteur ait été victime du charlatanisme du Moyen Âge. À cette époque, des animaux fantastiques étaient fabriqués à partir de poissons, notamment des raies, pour simuler des créatures étranges.
La superstition autour de l'œuf de coq persiste dans certaines régions. En Poitou, une poule qui chante comme un coq est tuée, car elle est censée pondre le cocatru, d'où sortirait un serpent ravageur. Dans le centre de la France, on neutralise l'influence des œufs de coq en plaçant des feuillages de charme dans les poulaillers le premier jour de mai.
Enfin, cette légende s'inscrit dans un cycle de traditions où le serpent et le dragon légendaire partagent des caractéristiques symboliques. Le culte druidique de l'œuf de serpent, considéré comme doté de vertus mystiques, pourrait également être lié à ces croyances. .
Histoire improvisée.
Un jour dans son château de Camelot, le roi Arthur entendit parler d'un trésor fabuleux, si fabuleux qu'il dépassait ses propres richesses qui étaient déjà pourtant considérables.
Comme tous les chevaliers de la table ronde étaient déjà occupés à chercher le Graal, il décida de se mettre lui-même en quête de ce trésor. Cela faisait trop longtemps qu'il restait dans son château à ne rien faire et un peu d'action lui ferait le plus grand bien.
Il parcourt donc la grande et la petite Bretagne pour trouver le trésor.
Un jour, en passant près d'un cimetière il entend un gémissement. Il descend de son cheval et y entre pour voir de quoi il s'agit.
Là il tombe nez à nez avec un fantôme assis sur sa tombe, en train de se lamenter.
– Que t'arrive-t-il ? lui demande Arthur. Puis-je t'aider en quoi que ce soit ?
Le fantôme relève la tête.
– Je suis bloqué ici car j'ai volé un foulard à ma mère pour le vendre et m'acheter de l'alcool. Mais des voleurs m'ont attaqué et tué. Ils ont emporté mon foulard et tant qu'il ne sera pas rendu à ma mère, je resterai bloqué ici. Je ne pourrai pas aller au Paradis.
– J'en suis désolé, répond le roi Arthur. Mais qui puis-je ?
– Si votre Majesté daignait ramener le foulard à ma mère elle me délivrerait. En échange, je sais ce que vous cherchez et je pourrais vous aider.
Le roi Arthur accepta. Il n'eut aucun mal à retrouver les voleurs, à récupérer le foulard puis à le rendre à la mère du fantôme.
Lorsqu'il revint au cimetière rappeler à ce dernier sa part du marché, le fantôme l'attendait brillant plus que la dernière fois.
– Merci, lui dit-il. Votre Majesté m'a délivré et c'est à mon tour de l'aider. Je sais que vous cherchez un trésor. Il se trouve enterré dans la forêt de Huelgoat, gardé par un monstre redoutable : la Santirine, une créature avec un buste de femme, des cornes de bélier, des jambes de bouc. Ses ailes sont comparables aux chauve-souris tandis que des dents aiguisées sortent de sa bouche et qu'elle parle avec une langue de serpent. Votre Majesté risque gros à l'affronter, vous devriez d'abord vous baigner dans du sang de dragon afin de vous rendre invincible.
– Du sang de dragon ? Mais où en trouverai-je, c'est tellement rare ! s'exclama Arthur.
– Les Morgans, ces lutins aquatiques que l'on trouve en baie de Douarnenez ou vers l'ile d'Ouessant en ont sûrement car ils ont à cœur de posséder les trésors les plus rares.
Sur ces mots, le fantôme brilla encore plus. Deux ailes apparurent dans son dos et il monta au Paradis.
Arthur soupira. Sa quête allait encore être retardée. Lui fallait-il vraiment trouver les Morgans et obtenir du sang de dragon ? Il pouvait très bien aller attaquer la Santirine tout de go ! N'était-il pas le roi Arthur ? Un héros ?
Cependant la sagesse lui conseillait la prudence. Si la santirine était si redoutable, mieux valait mettre tous les atouts de son côté.
Il se dirigea donc vers la baie de Douarnenez et fit des clapotis avec sa main sur la surface de la mer.
Une petite tête bleue apparut après un certain temps pour lui demander d'arrêter son tapage.
– Fais-tu partie du peuple des Morgans ? lui demanda Arthur.
– Cela dépend, répondit le lutin, que leur voulez-vous aux Morgans ?
– Juste leur acheter du sang de dragon car ils passent pour posséder les trésors les plus précieux.
– Oh là ! Doucement mon prince ! Le sang de dragon est un trésor des plus rares et vaut très, très cher. Avez-vous les moyens de vous offrir ce à quoi vous prétendez ?
– Je suis le roi Arthur, cela devrait répondre à ta question.
– Ah ! Effectivement ! Je pense que votre Majesté est assez riche. Quelle quantité en voulez-vous ?
– Un tonneau. C'est pour me baigner dedans et devenir invincible.
Le Morgan retourna sous l'eau et revint avec plusieurs de ses congénères en tirant un gros tonneau couvert d'algues.
Le roi Arthur ôta le couvercle, retira son armure et se baigna dans le sang de dragon du tonneau.
Il remit ensuite son armure, remercia les Morgans en grinçant un peu des dents parce que le sang de dragon était vraiment très cher, puis se dirigea vers Huelgoat.
Il découvrit sans peine la grotte où se cachait la santirine. Il y avait des restes d'armures et d'armes diverses, montrant qu'il n'était pas le premier à pénétrer en ces lieux.
Il descendit sous terre jusqu'à se retrouver devant le monstre.
Arthur fut impressionné. La santirine était aussi effrayante que sa description le laissait supposer.
– Qui es-tu et que viens-tu chercher ici à part la mort ? siffla le monstre.
– Je suis Arthur roi de toutes les Bretagnes et je viens prendre ce trésor que tu gardes !
– Et bien tu ne manques pas d'air mon joli ! Tu as certainement remarqué en venant que d'autres avant toi ont essayé. Pas un n'est reparti vivant.
– Je repartirai moi ! Et avec ton trésor en plus car je me suis baigné dans du sang de dragon avant de venir et je suis invincible !
Sans prévenir, la santirine l'attaqua au visage avec sa main aux longues griffes acérées. Lorsqu'elle vit que ses ongles n'avaient pu entailler la peau d'Arthur, elle se calma tandis qu'Arthur sortait Excalibur.
– Calmons-nous, lui dit le monstre. Je constate que tu as dit vrai. Je ne vais pas perdre de temps à me battre avec toi si tu es invincible. Tu veux le trésor ? Prends-le ! Je commençais à m'ennuyer ici de toutes façons.
Sans attendre de réponse, la créature quitta la grotte, laissant Arthur avec le trésor dont elle avait la garde.
Le roi ne fut pas déçu. Cela remboursait plusieurs fois ce qu'il avait dépensé pour le sang de dragon.
Finalement les précautions qu'il avait prises en se rendant invincible n'avaient pas été vaines. Elles lui avaient évité un combat éprouvant à l'issue incertaine et mieux valait prévenir que guérir.
Histoire improvisée.
Il était une fois un bûcheron qui n'avait pas coupé assez de bois pour pouvoir nourrir sa famille. Comme il était habile de ses mains et courageux, il s'était confectionné une canne à pêche puis était parti à la rivière d'à côté pour prendre du poisson.
Le sort lui fut favorable car à peine eut-il jeté sa ligne que celle-ci se tendit. La prise promettait d'être de bonne taille et le bûcheron se réjouissait à l'avance d'avoir de la nourriture pour plusieurs jours.
Après bien des efforts, il parvint à sortir un énorme poisson de l'eau. Il s'apprêta à l'assommer quand l'animal s'adressa à lui :
– Ne me tues pas, je ne suis pas tel que tu me vois. En réalité je suis un enchanteur coincé dans le corps d'un poisson pour un an.
– Peut-être mais qu'y puis-je, répondit le bûcheron. Tu es un poisson et ma famille doit manger.
– Écoute-moi ! Si tu me laisses la vie sauve, je t'indiquerais où se trouve un arbre géant dans la forêt de Huelgoat qui te mettra à l'abri du besoin pour le restant de tes jours.
L'offre était alléchante aussi le bûcheron décida-t-il de rejeter le poisson à la rivière, se promettant intérieurement de tout faire pour venir le reprendre s'il ne tenait pas parole.
Il se rendit ensuite à Huelgoat et découvrit sans peine l'arbre géant d'après les indications du poisson.
C'était effectivement un arbre de belle taille qui, une fois coupé, le mettrait à l'abri du besoin. Sa cime se perdait dans les nuages et il lui faudrait au moins deux années complètes pour le débiter en planches. La plus petite de ses branches pouvait armer la charpente d'une petite maison. Sa fortune était faite, le poisson n'avait pas menti.
Quelle ne fut pas sa surprise en faisant le tour du tronc de découvrir une porte au pied de l'arbre ! Voilà qui était étrange !
Il l'ouvrit et constata qu'elle donnait sur un pays merveilleux avec des fleurs comme il n'en avait jamais vues, des papillons de toutes les couleurs, des sources dont l'eau avait le goût du miel et un ciel bleu comme en plein été.
Une femme avec des ailes de libellule vint se poser à ses côtés. C'était la plus belle femme qu'il avait jamais vue avec une couronne de fleurs posée sur la tête. Son corps sculptural était moulé dans une robe aux reflets irisés et sertie de pierres précieuses scintillant sous le soleil.
– Bonjour humain, lui dit-elle, qui êtes-vous et que venez-vous faire au pays des fées ?
Le bûcheron lui expliqua ce qui l'avait amené ici.
– Nous connaissons bien l'enchanteur dont vous parlez et il est notre ami. Puisqu'il vous a promis que notre arbre vous mettrait à l'abri du besoin, voici un pantalon qui y pourvoira.
– Merci madame, mais des pantalons j'en ai déjà deux et ce n'est pas ça qui nourrira ma famille.
– Celui-ci est spécial, chaque fois que vous le porterez et que vous mettrez votre main dans sa poche gauche, vous y trouverez cinq pièces d'or. Vous comprenez ? A chaque fois vous trouverez cinq pièces, quelque soit le nombre de fois.
Effectivement le bûcheron avait compris. Il remercia chaleureusement la dame qui était sûrement une fée, prit le pantalon et retourna chez lui le cœur léger.
L'enchanteur n'avait pas menti, il était désormais à l'abri du besoin.
C’étaient deux marins de Quimper.
Ils s’étaient chargés de transporter dans leur chaloupe des fûts de cidre à destination de Benn-Odet.
Peut-être s’attardèrent-ils chez l’aubergiste à qui ils avaient à livrer la cargaison. Toujours est-il qu’ils laissèrent passer l’heure de la marée. Parvenus à l’endroit qu’on nomme « la Baie, » ils n’eurent plus assez d’eau et durent échouer piteusement dans les vases..... Six heures à attendre avant la prochaine marée, et cela en pleine nuit !.. Ils firent contre mauvaise fortune bon cœur. Tous deux se roulèrent dans les plis de la voile qu’ils avaient amenée. Déjà ils fermaient l’œil, quand une voix très forte les appela l’un et l’autre par leurs prénoms respectifs.
— Ohé ! Yann !... Ohé ! Caourantinn.
— Ohé ! répondirent Caourantinn et Yann.
C’est de la sorte que les marins ont coutume de se héler entre eux.
— Venez nous chercher ! reprit la voix.
La nuit était si noire qu’on n’y voyait plus à deux brasses. La voix, quoique très forte, semblait venir de très loin. Puis, elle avait en vérité quelque chose d’étrange.
Yann et Caourantinn se touchèrent du coude.
— Je crois bien, dit Yann, que c’est la voix de mon vilain patron, de Yannic-ann-aôd.
— Je le crois aussi, murmura Caourantinn. Tenons-nous coi. Ce n’est pas le moment de lever le nez.
Et ils s’entortillèrent plus étroitement dans la voile.
Mais ils avaient encore plus de curiosité que de peur.
Yann, le premier, se haussa, pour regarder au-dessus du
bordage.
— Vois donc ! dit-il à son compagnon.
Le fond de la baie, à leur gauche, venait de s’éclairer subitement d’une lumière qui semblait sortir des eaux. Et dans cette lumière se profilait une barque toute blanche, et dans la barque cinq hommes étaient debout, les bras tendus en avant. Ces cinq hommes étaient vêtus pareillement de cirés blancs parsemés de larmes noires.
— Ce n’est pas Yannic-ann-aôd, dit Yann, ce sont des âmes en détresse. Parle-leur, Caourantinn, toi qui cette année as fait tes Pâques.
Caourantinn se fit un porte-voix de ses mains, et cria :
— Nous ne pouvons aller vous chercher ; nous sommes échoués ici. Venez à nous vous-mêmes ou dites-nous ce qu’il vous faut. Ce que nous pourrons, nous le ferons.
Les deux marins virent alors les cinq fantômes s’asseoir chacun à son banc. L’un prit le gouvernail, les autres se mirent à ramer. Mais, comme ils ramaient tous du même côté, l’embarcation, au lieu d’avancer, virait sur place.
— Sont-ils bêtes ! grogna Yann ; en voilà des matelots d’eau douce !... J’ai bien envie d’aller leur montrer la manœuvre. C’est peut-être ça qu’il leur faut. Qu’en dis-tu, Caourantinn ? Si tu restais garder le bateau ?
— Non pas ! Si tu y vas, je t’accompagne.
— Après tout, il n’y a pas de risque. Nous pouvons laisser le bateau là où il est. Il y en a encore pour une bonne heure avant le premier flot. Viens ça, camarade, à la grâce de Dieu !
C’est à peine s’ils eurent de l’eau jusqu’à mi-jambes.
Ils s’acheminèrent sur le fond de vase dans la direction de la barque blanche.
Plus ils approchaient, plus les matelots surnaturels faisaient force rames, et plus aussi la barque blanche virait, virait, virait.
Quand les deux compagnons furent tout près d’elle, elle sombra soudain, et avec elle disparut la lumière qui éclairait le coin de la Baie. La nuit et la mer un instant se confondirent. Puis, à la place où étaient les quatre rameurs, s’allumèrent quatre cierges. A leur clarté douteuse, Yann et Caourantinn s’aperçurent que le cinquième fantôme, celui qui tenait tout à l’heure le gouvernail, dressait encore au-dessus de l’eau la tête et les épaules.
Ils s’arrêtèrent, saisis d’épouvante. A vrai dire, ils eussent préféré être ailleurs. Mais comme ils s’étaient tant avancés, ils n’osaient plus rebrousser chemin. L’homme avait, du reste, une figure si triste, si triste, qu’il eût fallu être mauvais chrétien pour n’en avoir point pitié.
— Êtes-vous de la part de Dieu ou de la part du diable ? demanda Yann.
Comme s’il eût deviné leur pensée et les sentiments qui les agitaient, l’homme leur dit :
— N’ayez aucune crainte. Nous sommes ici cinq âmes qui souffrons cruellement, et mes quatre compagnons souffrent encore plus que moi. La tristesse que vous voyez sur mon visage n’est rien auprès de la leur. Voilà plus de cent ans que nous attendons en ce lieu le passage d’un homme de bonne volonté.
— S’il n’est que de bien vouloir, nous sommes à votre disposition, répondirent Yann et Caourantinn.
— Vous irez, s’il vous plaît, trouver le recteur de Plomelin, et vous le prierez de faire dire pour nous, au maître-autel de l’église, cinq messes mortuaires pendant cinq jours de suite. Puis vous aurez soin que, pendant ces cinq jours, à ces cinq messes, assistent régulièrement trente-trois personnes, vieilles ou jeunes, hommes, femmes ou enfants.
— Doue da bardono ann Anaon ! (Dieu pardonne aux défunts !) murmurèrent les deux marins, en faisant le signe de la croix. Nous vous satisferons de notre mieux.
— Le lendemain, Yann et Caourantinn allèrent trouver le recteur de Plomelin. Ils lui payèrent d’avance les vingt-cinq messes. Ils assistèrent eux-mêmes à toutes. Pour être sûrs des trente-trois assistants exigés, ils emmenaient chaque jour de Quimper leurs femmes, leurs enfants, leurs proches et leurs amis. Jamais on ne vit tant de monde à la fois aux messes basses de Plomelin.
Le sixième jour, Yann dit à Caourantinn :
— Si tu veux, nous nous rendrons à la Baie, cette nuit, pour savoir si ce que nous avons fait est bien fait ?
— Soit, répondit Caourantinn à Yann.
Et la nuit venue, ils descendirent la rivière dans leur chaloupe. Ils mouillèrent à l’endroit où ils avaient échoué six jours auparavant. Et ils attendirent. Bientôt la lumière qu’ils avaient déjà vue, commença de monter au-dessus des flots. Puis, la barque blanche se dessina, et dans la barque réapparurent les cinq fantômes. Ils avaient toujours leurs cirés blancs, mais les larmes noires n’y étaient plus. Leurs bras, au lieu d’être tendus en avant, étaient croisés sur leur poitrine. Leur face rayonnait.
Et, tout à coup, sonna une musique délicieuse, si attendrissante que Caourantinn et Yann en eussent volontiers pleuré de bonheur.
Les cinq fantômes s’inclinèrent tous à la fois, et les deux marins les entendirent qui disaient avec une voix douce :
— Trugarè ! Trugarè ! Trugarè ! (Merci ! merci ! merci !)
(Conté par Marie Manchec, couturière. — Quimper, 1891.)
Elena était une jeune bretonne des monts d'Arrée aux cheveux bruns et aux yeux bleus. Au début du printemps, elle avait l’habitude de partir trois jours, pour parcourir les hauteurs du Roch Trevezel, avec son chien Rocky. Elle tenait à jour un carnet de croquis et, chaque année, elle le remplissait avec des dessins de nouvelles espèces d’animaux et de plantes. La Nature était sa passion et elle considérait qu'en faisant connaître son petit coin de verdure, les gens seraient plus enclins à le protéger. L’an dernier, elle avait établi son campement près du lac du Drennec et avait dessiné des poissons, des grenouilles, des insectes et des fleurs !
Cette année Elena et son chien étaient revenus avec de nouvelles illustrations, dont un superbe dessin de cerf blanc. Sa famille s'était gentiment moquée d'elle et de ce cerf à la drôle de couleur, sauf son grand-père qui avait rappelé tout le monde à l'ordre en affirmant qu'il avait déjà entendu parler d'une telle bête.
Elena expliqua qu'elle et son chien avaient rencontré un lièvre. Le chien s'était élancé à sa poursuite et elle à celle du chien.
« L'après-midi se terminait et la luminosité baissait rapidement. Il fallait que je trouve un endroit pour planter ma tente mais je ne pouvais rien commencer tant que je n'avais pas retrouvé Rocky. J'arrive à le suivre de loin pendant un certain temps puis, à un moment, je l'ai perdu de vue.
C'est alors que j'ai réalisé que la nuit tombait. La lune était pleine donc je pouvais encore marcher mais je ne savais plus du tout où j'étais.
J'ai appelé Rocky qui m'a répondu au loin. Je me suis donc dirigée dans la direction des aboiements.
J'ai couru aussi vite que possible. Heureusement Rocky continuait d'aboyer comme pour me guider vers lui. Je l'ai trouvé de l'autre côté d'un rocher, en contrebas, s'énervant contre un énorme cerf qui lui, paissait paisiblement.
Un cerf sur la lande et en pleine nuit, j'ai trouvé que c'était bizarre, alors j'ai allumé ma lampe torche et c'est là que j'ai vu qu'il était blanc.
Je me suis approché jusqu'à le toucher. Il s'est laissé faire. Soudain, sans que je m'y attende, il m'a léché le visage puis a commencé à partir.
Je ne pensais pas à le suivre mais il s'est arrêté et a tourné la tête vers moi, comme une invitation, puis il est reparti.
Je me suis dit qu'il retournait peut-être à un endroit abrité et que je ferai bien d'y aller aussi car le vent s'était levé et le temps tournait à l'orage. De gros nuages sombres cacheraient bientôt la lune et je n'y verrai plus rien.
Je calme Rocky et nous suivons l'animal qui nous emmène jusqu'à une grotte. A peine étais-je à l'abri que l'orage éclate. Le cerf s'enfonce un peu vers l'intérieur et se couche sur une litière de foin toute fraîche. Sous la lumière de ma torche, il me fait signe avec sa tête de venir m'allonger contre lui pour profiter de sa chaleur. Le sol de la grotte était trop dur pour que j'y plante ma tente de toutes façons.
Je m'allonge donc à mon tour en posant ma tête contre le flanc de l'animal puis j'ai du sans doute m'endormir car je l'ai entendu parler. Il m'a dit qu'il était le protecteur de la lande et qu'il voulait me remercier pour tout ce que je faisais afin de faire évoluer les mentalités humaines. Je me sentais vraiment bien, blottie que j'étais contre lui.
Il a posé sa tête sur la mienne et d'un seul coup, j'ai su que dans une semaine, je trouverai un trésor enterré qui me permettrait d'être plus efficace pour protéger la Nature tout en ne manquant jamais de rien. Ensuite il m'a dit de dormir en paix, qu'il était temps de me reposer. Ce fut une nuit magique peuplée de rêves merveilleux. »
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !.
Dans la légende de St Pol figuraient deux serpents : l'un infestait le Faou, l'autre l'ile de Batz. A Guimiliau-Lampaul, une des étapes du chemin que suivait le saint pour se rendre de l'ile de Batz au Faou, existe un endroit où les deux serpents se donnaient rendez-vous, sans doute pour converser ensemble de leurs méfaits.
Bulletin de la SAF, janvier 1890.
Les nuits de tourmente, on entend tout le long de la côte les noyés qui s’appellent entre eux.
Quand un pêcheur périt en mer, les goélands et les courlis viennent siffler et battre de l’aile aux vitres de sa maison.
Quand les pêcheurs de Cornouaille s’embarquaient la nuit pour la pêche, ils voyaient souvent des mains de cadavres se cramponner au bordage des bateaux.
Les femmes ne s’accrochaient pas ainsi avec les mains, mais elles laissaient flotter sur les eaux leurs cheveux où les rames s’embarrassaient.
« Mon père, Yves Le Flem, avait coutume d’aller la nuit chercher des épaves le long de la grève.
Cette nuit-là, il avait emporté son filet sur ses épaules. Il comptait le poser aux environs de Bruk et il s’acheminait de ce côté, tout en flânant.
Tout à coup son pied heurta quelque chose qui sonna creux et se mit à rouler avec bruit dans les galets.
— Qu’est-ce que cela peut être ? se dit-il.
Il courut après l’objet qui dégringolait toujours, car la pente à cet endroit était rapide.
Jugez de son désappointement, quand, l’ayant saisi, il s’aperçut à la lueur de sa lanterne que c’était une tête de mort.
Il n’eut rien de plus pressé que de lancer au loin cette épave humaine.
Mais aussitôt une grande clameur s’éleva de la mer. Mon père épouvanté crut voir des milliers de bras qui s’agitaient hors de l’eau. En même temps des mains invisibles s’efforçaient de lui arracher son filet.
Il comprit qu’il avait mal agi en manquant de respect à la tête de mort. Il savait d’autre part qu’il ne fait pas bon avoir affaire à des noyés. Le voilà de se remettre en quête du crâne. Le retrouver ne fut pas chose facile.
Mon père se disait :
— Si je l’ai rejeté dans la mer, je suis un homme perdu. Tous les bras qui s’agitent là-bas si désespérément vont m’entraîner avec eux dans l’abîme.
Fort heureusement, la tête de mort avait été arrêtée par un rocher.
Mon père la reporta pieusement à l’endroit où elle gisait quand son pied l’avait heurtée tout d’abord.
Grâce à quoi il put rentrer chez lui sain et sauf. »
En Cornouaille bretonne, chaque maison a son teuz, son lutin domestique si vous préférez. Vous savez peut-être déjà que l'une de ses missions est d'aider à ranger la maison comme certaines histoires précédentes nous l'ont déjà montré.
Mais ce que les gens savent moins c'est que le teuz est aussi celui qui fait venir le sommeil sur les occupants de la maison où il se trouve. Cela fait partie de ses attributions.
Il commence par faciliter l'arrivée du marchand de sable et quand ce dernier est reparti après avoir fait en sorte que les yeux de tout le monde piquent un peu, le teuz s'arrange pour que plus rien ne bouge dans la maison. Il va voir les mouches et leur dit de se tenir tranquilles puis va prévenir les moustiques qu'ils ont intérêt à se tenir tranquilles sous peine de se faire aplatir par des humains agacés. Il y en a toujours un ou deux qui se croient plus malins que lui et ne tiennent pas compte de ses avertissements, mais c'est à leur risque et péril.
C'est le moment où un calme certain se fait sentir dans la maison. Plus rien ne bouge. Les humains le remarquent inconsciemment et baillent devant leur boîte à idioties pleine d'images. C'est bientôt l'heure du lit.
Le teuz se rend invisible puis passe sur les épaules de tout le monde pour chuchoter aux cerveaux qu'ils doivent changer de rythme. Les pensées ralentissent et appréhendent avec joie le repos qui vient.
Tout est maintenant tranquille. Les lumières des plafonds deviennent trop fortes pour les yeux alors on se contente de celles des lampes de chevet posées sur les tables de nuit. Parfois un écran se veut aguicheur pour tenter de voler encore un peu d'attention, mais les humains les plus sages savent qu'il y a un temps pour tout et que celui de l'électronique est passé, au moins jusqu'à demain.
Quand un appareil insiste lourdement et que le teuz constate qu'il nuit à la tranquillité de l'instant, il n'est pas rare qu'il aille vider ses batteries.
Seuls les livres ou les magazines posés sur le côté du lit trouvent grâce à ses yeux. Le temps du mot remplace un peu celui de l'écran et libère l'imagination, préparant l'esprit aux rêves qui vont venir.
Lorsque les humains sont détendus dans leur lit, le teuz fait un dernier tour de la maison pour vérifier que tout est en ordre et qu'aucune créature mal intentionnée n'a profité de l'obscurité pour se glisser à l'intérieur. Un grillon, une grenouille, un hibou ou une chouette le prévient depuis l'extérieur quand toutes les lumières sont éteintes.
Alors, son travail terminé, le teuz rejoint son trou et se glisse à son tour dans le petit lit douillet qu'il s'est fabriqué lui-même avec ce qu'il avait sous la main. Peu importe l'aspect de la chose, soyez sûr que son confort est assuré.
Le marchand de sable lui laisse toujours quelques grains pour l'aider à s'endormir mais la plupart du temps, le lutin n'en a même pas besoin, épuisé qu'il est par tout ce qu'il a du faire pour aider pendant la journée. Le sommeil le cueille et l'emporte aussi facilement qu'un vent de printemps soufflant sur les akènes mûrs du pissenlit. Lui aussi fera de beaux rêves.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
C’est un trou de verdure où chante la rivière Ellé, éclaboussant follement d’imposants blocs de granit polis au fil des millénaires. Le soleil joue dans les feuillages des hêtres centenaires et des chênes moussus, donnant au lieu son caractère à la fois sauvage et doux.
Séduit par la beauté du site, saint Gwenolé aurait fondé son ermitage ici, à Guilligomarc’h, dans le Finistère, Quimperlé et Le Faouët. Pas de chance, les lieux appartenaient déjà… au diable en personne ! Au cours d’une lutte féroce, le Malin, fou de rage, aurait précipité d’énormes roches sur la rive. Leurs formes évoquent d’ailleurs la trace du démon : ici, une main griffue, là, un fauteuil où il se serait assis, ou encore le lit où il se serait assoupi… On peut également y voir le mobilier du saint : une table, une chaire à prêcher, une écuelle…
On raconte aussi que saint Gwenolé aurait conclu un pacte avec le diable : en échange de la construction d’un pont sur la rivière, le Malin pourrait s’emparer de la première âme qui le traverserait… Sauf que c’est un écureuil – ou un chat, selon les versions – qui l’aurait franchi le premier ! Aujourd’hui connu sous le nom de Pont-Neuf, il relie Locunolé à Guilligomarc’h et marque la séparation entre les évêchés de Cornouaille et de Vannes.
Dans le lit de l’Ellé – qui signifie d’ailleurs « l’enfer » –, d’énormes pierres témoignent encore de l’immense colère qui se serait alors emparée du démon. Horriblement vexé, il aurait fini par plonger dans les flots, y formant un gouffre d’une profondeur que l’on dit insondable, le « trou du Diable ». Avant de disparaître, le diable aurait également dissimulé un trésor, toujours introuvable aujourd’hui. Mais gare à ceux qui se montreraient trop curieux : il paraît que le
Malin aurait laissé derrière lui une laie noire, prête à charger sans pitié les malheureux s’approchant trop près du butin.
Plus que les chercheurs d’or, les Roches du Diable, situées à la sortie de gorges profondes de plus de 80 mètres, séduisent désormais les amateurs de sensations fortes et les kayakistes chevronnés. En hiver, des passages classés comme très difficiles attirent des compétiteurs de haut niveau, pour qui les rapides tumultueux de l’Ellé sont un défi prisé. Ces eaux capricieuses accueillent d’ailleurs chaque année des épreuves de canoë-kayak de niveaux national et international.
Les marcheurs y trouvent aussi leur compte, grâce à un réseau de sentiers offrant de nombreux points de vue saisissants sur le chaos granitique et sa rivière impétueuse, moins touristiques que ceux du Huelgoat. Mais quand le débit s’accélère, les rapides peuvent redevenir diaboliques. Dans la nuit du 17 au 18 janvier 2024, le père Christophe Guégan, alors curé de la paroisse de Ploërmel, a d’ailleurs disparu dans le chaos rocheux, sans que son corps soit retrouvé depuis. Noyade, suicide, disparition volontaire ? Depuis cette nuit d’hiver, un mystère supplémentaire plane sur les Roches du Diable – qui n’ont jamais aussi bien porté leur nom.
Histoire improvisée.
Un jour que le roi Gradlon était dans sa ville d'Ys au bord de la baie de Douarnenez, un intendant vint lui rendre compte qu'il manquait un coffre dans la salle aux trésors du palais.
Malheureusement c'était un petit coffre auquel le roi Gradlon tenait particulièrement car il contenait les bijoux de son épouse, la reine Marwenn, qui était morte en donnant naissance à leur fille la princesse Dahud.
Il y eut enquête et le château fut fouillé de fonds en combles, mais le coffre demeura introuvable.
Qui oserait s'en prendre ainsi au trésor du roi, Gradlon était craint et respecté. Aucun voleur, aucun homme n'oserait lui faire un coup pareil.
C'est alors que quelqu'un suggéra qu'il pourrait peut-être s'agir d'un tour des Morgans, ces lutins aquatiques qui vivaient sous l'océan dans la baie de Douarnenez.
Gradlon en douta car il avait de bons rapports avec leur roi, mais toutes les pistes devaient être suivies alors il enfourcha son cheval Morvarc'h qui avait la faculté de marcher sur l'eau puis se rendit au milieu de la baie et frappa la surface de l'eau jusqu'à ce qu'un Morgan apparaisse pour lui dire d'arrêter.
Gradlon lui demanda d'aller chercher son roi afin qu'il puisse lui parler. Lorsque ce dernier parut, Gradlon apprit par sa bouche que les Morgans n'étaient pour rien dans le vol de son coffre. Il connaîtrait sûrement le coupable en allant demander aux neuf prêtresses de l'ile de Sein.
Gradlon en convint et lança son cheval sur les flots. Il traversa la baie de Douarnenez, alla jusqu'à la pointe du Van puis descendit jusqu'à la pointe du Raz. Le Raz de Sein était un bras de mer en furie qui séparait l'ile de Sein du continent et précipitait ceux qui s'aventuraient à le traverser sur des récifs pratiquement invisibles à l'oeil nu.
Le cheval Morvarc'h n'était pas rassuré mais Gradlon l'encouragea. La traversée du Raz ne fut pas facile. Le roi Gradlon et sa monture faillirent être emportés plusieurs fois, mais ils parvinrent à atteindre l'ile.
Aussitôt Gradlon se rend auprès des neufs prêtresses qui passent pour avoir des dons divinatoires et pouvoir provoquer des tempêtes.
Contre une offrande digne d'elles, il apprend alors que c'est sa propre fille Dahud qui a volé le coffre.
Gradlon remonte sur son cheval et rentre chez lui. Il fait venir la princesse et lui demande des explications après lui avoir reproché de ne pas s'être dénoncée. Dahud, les larmes aux yeux, avoue que c'est bien elle qui a dérobé le coffre car elle n'avait aucun souvenir de sa maman et ce coffre à bijoux était tout ce qui restait d'elle.
Gradlon s'apaise. Il demande à sa fille de ramener le coffre puis retire un médaillon qu'il porte autour de son cou et l'offre à sa fille.
Lorsqu'elle ouvre le médaillon, elle y voit le portrait d'une femme qu'elle ne connaît pas mais qui lui ressemble. Son père lui explique que les bijoux ne pourront pas lui rappeler sa mère, par contre ce médaillon avec son portrait, lui, le pourra. Elle aura ainsi toujours le souvenir de sa mère contre son cœur.
Épilogue
Quand Conan ouvrit les yeux, il constata qu'il se trouvait dans le lieu qu'il savait désormais être le pays des ombres. Contrairement à toutes les fois précédentes où il était venu cependant, il ne ressentait plus aucune frayeur. Peut-être commençait-il à avoir l'habitude...
Tranquillement, il se mit à marcher droit devant lui, se demandant ce qui l'attendait cette fois. Après quelques secondes, il entendit des pas plus légers derrière les siens et s'arrêta. Il reconnaissait ce son si caractéristique, produit par une créature se déplaçant à quatre pattes. En effet, le molosse noir apparut bientôt près de l'inspecteur, se plaçant devant lui.
– Vous avez réussi, maître Kerouac. J'avoue être impressionné. Voilà plus de quatre siècles que j'arpente cette terre, pourtant je ne crois pas avoir croisé avant vous la route d'un humain capable d'affronter un loup-garou.
Le souvenir du combat acharné fit frissonner Conan, mais le remplit également d'une certaine tristesse.
– J'aurais voulu pouvoir faire plus, fit-il. Trouver un moyen de faire revenir Baptiste...
– Et qu'est-ce que cela aurait changé ? La bête avait pris le dessus. Il n'aurait sans doute pas été possible de la faire partir sans détruire l'âme du garçon. En outre, ses crimes étaient devenus bien trop graves. Qu'aurait-il pu faire s'il avait retrouvé son état normal ? Passer sa vie à fuir la justice, ou accepter son châtiment et finir ses jours en prison ?
Le policier soupira.
– Je suppose que vous avez raison. J'espère juste que Thomas et Marlotte se remettront.
Quelque chose le frappa soudain.
– Pourquoi sommes-nous ici au fait ? J'imagine que vous ne dépensez pas votre énergie pour m'amener ici dans le seul but de me féliciter...
Le chien émit un son étrange.Après quelques secondes, Conan comprit qu'il riait.
– Je ne dépense pas mon énergie cette fois, en tout cas beaucoup moins. Je ne vous ai pas amené dans le monde des ombres Conan, vous y êtes entré seul.
– Est-ce que ça veut dire que je suis...
L'inspecteur eut du mal à terminer sa phrase.
– ...mort ?
– Pas encore, pas tout à fait. En fait, vous avez le choix. Vous pouvez vous en allez, quitter ce monde pour rejoindre l'après-vie, ou vous pouvez retourner dans votre corps. C'est à vous de voir. Je ne suis là que pour savoir quelle décision vous allez prendre.
Conan ne savait plus où il en était. Il avait déjà été confronté à des choix difficiles dans sa vie, mais celui-ci...
Qu'est-ce qui le retenait sur terre ? Il passait ses journées à boire pour tenter d'éloigner ses cauchemars et les deux seules personnes desquelles il se sentait proche était en fuite ou risquait de lui en vouloir pour la mort de Baptiste s'il revenait à lui. À côté de ça, la mort semblait une option plutôt enviable...
Pourtant, quelque chose le retenait. Un doute, une sensation agaçante au creux de ses tripes. Un goût d'inachevé, dont il ne tarda pas à déterminer la cause.
– Je vais retourner sur terre, dit-il. J'ai encore des choses à y faire.
Le chien parut légèrement étonné.
– Puis-je vous demander ce qui motive votre décision ? Vous ne m'avez pas l'air d'être le genre d'homme chérissant sa vie outre-mesure...
– C'est vrai, sauf que ce n'est pas pour moi que je vais continuer. Je vais poursuivre mon travail pour les autres.
– Les autres ? Je ne saisis pas...
– En moins d'un mois, j'ai été témoin de nombreuses choses que personne n'aurait pu ne serait-ce que concevoir. Ce faisant, j'ai appris quelque chose d'important ; il existe, dans ce monde, des choses plus grandes que nous, les humains. Des forces qui, si elles sont utilisées à mauvais escient, feront souffrir un nombre incalculable de personnes. J'ai survécu à l'une de ces choses, et je ne compte pas m'en aller en sachant que d'autres sont susceptibles d'apparaître. Je me battrai, pour être le seul à devoir le faire.
Le chien fit sa grimace indiquant qu'il souriait.
– Voilà qui est parlé comme un vrai soldat, maître Conan. Vous êtes décidément un être passionnant à suivre...Très bien. Puisque c'est ainsi, je vous apporterai mon aide, dans la mesure de mes moyens. Ensemble, nous protégerons les hommes de ce qu'ils ne peuvent comprendre.
Ce fut au tour de l'inspecteur de sourire.
– Pourquoi pas ? Sans vous, je n'aurais sans doute pas réussi à arrêter Baptiste de toute manière. Mais puisque nous allons travailler de concert, il vaudrait peut-être mieux que je vous tutoie et que je vous trouve un nom ? À moins que tu ne souhaites que je t'appelles Gabriel.
Le molosse secoua la tête.
– Gabriel était mon nom d'humain, le nom lié à mon âme pleine et entière. Il serait malvenu de l'utiliser maintenant que je partage mon corps avec un démon. Gabriel Collineux est mort il y a longtemps. Aussi, appelle-moi comme tu le souhaites.
Conan réfléchit quelques secondes. Au vu de la nature extraordinaire du chien, il semblait important de lui donner un nom tout aussi extraordinaire.
– Pourquoi pas...Wyald ? Wyald, le molosse noir. Je trouve que ça sonne bien. Qu'est-ce que tu en penses ?
L'animal acquiesça.
– Un bon nom, porteur de force. Il me plaît. Mais à présent, maître Conan, il est temps de retourner dans le monde réel...
La vision du policier se brouilla. Tout autour de lui commença à tourbillonner, jusqu'à atteindre une vitesse telle qu'il dut fermer les yeux.
Quand il les rouvrit, l'inspecteur se trouvait dans un lit d'hôpital. Aucun son ne troublait la tranquillité des lieux, hormis le léger ronflement des machines auxquelles l'homme était branché. Se concentrant, il essaya de bouger ses bras ainsi que ses jambes. Il ne put exécuter qu'un unique mouvement du pied avant qu'une vague de douleur ne traverse tout son corps. Au moins, cela signifiait qu'il était en vie. Tournant la tête, malgré l'effort que cela lui coûtait, le policier vit Thomas, endormi sur une chaise. À en juger par les nombreux gobelets de café vides sur la table près de lui, cela faisait un moment qu'il jouait au planton.
Conan était touché, toutefois cette sollicitude lui rappela Marie, ainsi que le souvenir pénible de la manière dont ils s'étaient séparés. Après tout ce qui était arrivé, il doutait de la revoir un jour...
De l'autre côté du lit, endormi, se trouvait Wyald. Apparemment, il ne semblait pas presser de se lever. Des bandages frais avaient été posés sur son dos et ses pattes.
Thomas s'agita, grognant doucement avant d'ouvrir un œil. Quand il vit que son ami était revenu à lui, il se réveilla complètement.
– Eh bien Kerouac, tu peux te vanter d'avoir fichu une sacrée trouille à tout le monde. Quand on t'a retrouvé dans ces bois, la moitié a parié que tu ne t'en sortirais pas. André va me devoir vingt euros d'ailleurs...
– Qu'est-ce qui...qu'est-ce qui s'est passé...après ? demanda l'inspecteur.
Le simple fait de parler était douloureux.
– Après qu'on t'a trouvé ? On a emporté le corps de Baptiste à la morgue. Marlotte ne s'en est toujours pas remis. Le fait de savoir que c'était lui le coupable, plus l'état dans lequel était son cadavre...
Le médecin se fit silencieux.
– Pardon, fit Conan. Je n'ai...pas réussi...à le faire revenir...
– Personne ne t'en veut, Kerouac. Vu ce qu'on a trouvé dans la clairière en venant, il est sans doute mieux que les choses se soient terminées ainsi. Marlotte en viendra aussi à cette conclusion, ça lui prendra simplement plus de temps.
– Et...Marie ? Comment est-ce qu'elle...gère ça ? demanda le policier le plus innocemment possible.
– Je n'en sais rien, répondit Thomas. Je ne l'ai pas revue. Elle a donné sa démission et n'est même pas venue chercher ses affaires. Je crois que tout ça...c'était trop pour elle.
L'inspecteur hocha la tête, sans rien dire. Finalement, il changea de sujet.
– Depuis combien de temps je suis ici ? Quand est-ce que je pourrai sortir ?
– Tu es resté dans le coma pendant une semaine. Quant à ta date de sortie, les médecins n'en savent encore rien. D'après eux, c'est un miracle que tu sois encore en vie, alors ils ne veulent pas trop s'avancer.
Le médecin légiste pointa le molosse du doigt.
– Au fait, qu'est-ce que c'est cette bête ? On l'a trouvée près de toi dans la forêt, et elle aussi avait l'air salement amochée.
– Lui, c'est...mon chien. Et il m'a bien plus aidé que tu ne peux l'imaginer.
Thomas sourit.
– On s'en doutait, c'est pour ça qu'il a eu le droit de rester à côté de toi dans la chambre.
Le médecin légiste se leva.
– Maintenant que tu es réveillé, je vais pouvoir te laisser. Il y a une montagne de paperasses, pour tout le monde, à propos des crimes du Yeun Elez. Puisque c'est le corps de Baptiste qui a été retrouvé, la plupart affirment que c'est simplement lui qui a tué les victimes dans un accès de démence, mais d'autres disent qu'il y a quelque chose de...pas naturel dans cette histoire. J'imagine que toi et moi seront les seuls à connaître la vérité...
– J'imagine aussi. Ce n'est pas plus mal, dans un sens.
Thomas acquiesça et sortit, laissant l'inspecteur seul.
Conan jeta un coup d’œil par la fenêtre, voyant la lune briller dans le ciel nocturne. Cela lui fit repenser aux sorcières et, par corollaire, à Monica. Elle était toujours là, dehors, assoiffée de pouvoir. Ce n'était qu'une question de temps avant que ce qui grandissait en elle ne lui accorde ce qu'elle voulait. Qui sait alors ce qu'elle déchaînerait sur le monde...
Mais c'était aussi pour cela que le policier avait choisi de revenir. Quand de telles forces se présenteraient à nouveau devant lui, il serait prêt.
Iouennic Bolloc’h eut cette curiosité impie d'écouter les morts parler entre eux pendant la nuit de la Toussaint.
Iouennic Bolloc’h était un mendiant qui ne manquait ni d’esprit, ni de savoir-faire. Il s’était fait ce raisonnement :
— Si je pouvais prévenir d’avance du jour de leur mort tous ceux qui sont destinés à mourir cette année, j’arriverais à me faire ainsi de jolis profits.
Donc, le soir de la Toussaint, il s’arrangea pour être à Castel-Pôl (Saint-Pol-de-Léon). Il avait entendu dire qu’à Castel-Pôl il y avait, non pas un, mais dix, mais vingt charniers dans le cimetière. Il se dissimula tant bien que mal, en se couchant dans l’herbe à plat ventre. Et il attendit en cette posture le colloque des morts.
Vous n’ignorez pas qu’à Castel-Pôl, les ossuaires sont encastrés dans les murs du cimetière.
Un mort de l’un des charniers interpella un autre mort du charnier d’en face.
— Ami, disait-il, est-ce que tu m’écoutes ?
Iouennic Bolloc’h sentit cette parole passer au ras de lui comme le souffle glacial d’une bise.
— Ami, répondit l’autre mort, je t’écoute, mais il y a un vivant entre nous.
— Je le sais. Il est venu pour entendre la liste des morts de la prochaine année.
— Qu’il l’entende donc !
— Qu’il sache que le premier de la liste n’a plus à vivre que deux minutes !
— Qu’il sache que le premier de la liste a nom Iouennic Bolloc’h !
Les deux voix se croisaient à travers la nuit, rapides, sifflantes. Chacun des mots qu’elles proféraient entrait comme un fer froid dans les oreilles du pauvre mendiant. A peine son nom eut-il été prononcé qu’il rendit l’âme. On trouva le lendemain son cadavre raidi. On crut qu’il avait eu le sang gelé par la grande fraîcheur de la nuit et on l’enterra à l’endroit même où il était trépassé.
(Conté par Jean Cloarec. — Laz, 1890, Finistère.)
Librement adapté d'un conte gallo de 1897 intitulé « l'héritage de Gérard »*
Il y a bien longtemps, un seigneur de noble famille mourut en laissant deux fils derrière lui. Le cadet, Aorelian, reçut à peine de quoi vivre alors que son aîné héritait de trois ou quatre châteaux avec leurs terres.
Quand Aorelian eut tout dépensé, il alla voir son frère aîné en lui demandant de l'aide. Ce dernier réfléchit quelques instants puis lui dit :
– Ecoute je pense pouvoir faire quelque chose pour toi. Parmi les châteaux dont je dispose désormais il en est un qui reste inhabité, meublé richement et dans le plus grand confort. Les anciens locataires sont morts. Si tu le veux, il est à toi.
Aorelian fut enchanté de cette proposition et il accepta immédiatement. Son frère fit venir un notaire qui acta le fait que l'aîné cédait tous ses droits sur ce domaine puis Aorelian alla prendre possession de son nouveau château.
La demeure était magnifique, mais bizarrement, les serviteurs s'empressaient de la quitter quand le jour tombait. Le jeune homme comprit pourquoi quand, alors que minuit sonnait, un bruit infernal de chaînes traînées et de lamentations sépulcrales résonnèrent dans toute la maison.
– Mon frère m'aurait menti, se dit Aorelian quittant son lit, il m'avait pourtant assuré que le château était inoccupé. D'où peut bien venir tout ce tapage ?
Au même instant, la porte de sa chambre s'ouvrit et une créature monstrueuse recouverte de poils apparut, traînant des chaînes aux mains et aux pieds. Elle ressemblait à un mélange de chien et d'ours. Aorelian, qui était courageux, lui fit face.
– As-tu peur Aorelian ? demanda la créature en découvrant une gueule garnie de dents acérées.
– Non, répondit le jeune homme.
La créature lui tendit un crâne humain ouvert en deux.
– Boirais-tu dans cette coupe ?
– Pourquoi pas ?
– Es-tu effrayé Aorelian ? répéta la créature.
– Non, non.
– Si tu n'es pas effrayé, bois donc dans ce crâne, dit le monstre après avoir sorti une bouteille de chouchen de nulle part et en avoir versé dans le crâne.
Aorelian prit le crâne et but sans broncher.
– Maintenant, dit la créature, je sais que tu es brave. Tu vas me suivre.
Elle prit une torche et précéda Aorelian dans un grand escalier qui mena à un souterrain où elle ouvrit une porte secrète dissimulée dans un des murs puis elle emmena le jeune homme jusqu'à deux pierres tombales.
– Et maintenant ? Tu as peur ? demanda la créature à Aorelian.
– Pas plus que tout à l'heure.
– Alors regarde ces tombes. Sous l'une d'elle se trouve un immense trésor, sous l'autre un mort-vivant qui te tuera dès qu'il te verra. Si tu choisis la bonne pierre, le zombie et moi nous disparaîtrons. Tu vivras heureux ici pour le restant de tes jours.
Aorelian prit la torche du monstre et l'approcha des tombes. Horreur ! Sur l'une d'elle il vit son propre nom tandis que sur l'autre était inscrit celui de son frère.
Sans se démonter, Aorelian ouvrit la tombe qui lui était destinée puisque son prénom signifiait « doré » et avait un rapport avec l'or.
– Bravo ! lui dit le monstre avant de disparaître. Te voilà riche et tout à fait chez toi désormais.
Aorelian trouva sous la pierre tombale un grande coffre en bois rempli d'or et de pierres précieuses. Sa fortune était faite.
Il remonta le trésor dans sa chambre, puis, alors que dehors le soleil se levait, vaincu par la fatigue, il s'écroula sur son lit dont le matelas l'accueillit comme un ami. Le sommeil le submergea immédiatement et il s'endormit en souriant, rêvant déjà de toutes les belles chose qu'il allait faire avec son argent ainsi que de tous les gens qu'il allait pouvoir rendre heureux.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
L’âme apparaît sous forme d'insecte aussitôt après la mort, mais parfois aussi sous la forme d’une fleur, d’une grande fleur blanche. Elle est plus belle à mesure qu’on s’approche d’elle et s’éloigne quand on veut la cueillir.
Dans la région de Scaër, lorsque quelqu'un décédait, il ne fallait plus tuer les mouches jusqu'au retour de l'enterrement.
Autrefois, il y avait des charniers dans tous les cimetières bretons. Il en reste encore quelques-uns, mais dont on ne prend plus soin. On y laisse les « reliques » (ar relegou) moisir en tas, pêle-mêle. Il y a seulement une centaine d’années, les choses n’allaient pas de la sorte. En ce temps-là, quand on exhumait un squelette, on rangeait les os les uns sur les autres, en bon ordre, et l’on plaçait la tête dans une boîte à laquelle on donnait tantôt la forme d’un cercueil, tantôt celle d’une chapelle.
Les murs des charniers étaient garnis de ces petites boîtes, peintes de diverses couleurs, en noir, si le défunt était d’âge mûr ; en blanc, si c’était un enfant ; en bleu, si c’était une jeune fille.
Sur chacune se lisait l’inscription funéraire : Ci-gît le chef de...suivie du nom du trépassé.
Le soir de la Toussaint, après les « vêpres de l'Anaon », avait lieu la « procession du charnier. » Par les sentiers, entre les tombes, la foule se dirigeait vers l’ossuaire, clergé en tête. Un prêtre entonnait l’hymne lugubre :
Deomp d’ar Garnel, Christenien !....
(Allons au charnier, chrétiens !...)
La lueur vacillante de quelque torche éclairait par intervalles
l’intérieur de l’ossuaire. Par les ouvertures en forme de cœur
dont étaient percées toutes les boîtes, il semblait que l’on vît
grimacer la bouche triste des morts.
On disait que, durant cette nuit-là, les bouches sans lèvres des trépassés recouvraient la parole, et qu’on entendait deviser entre elles les têtes de mort des ossuaires.
— Qui es-tu ? demandait une des têtes à sa voisine.
La conversation s’engageait, et, peu à peu, devenait générale.
Un vivant à qui il eût été donné d’y assister aurait été renseigné en une seule nuit sur tout ce qui se passe de l’autre côté de la mort. En outre, il aurait entendu nommer tous ceux qui devaient mourir dans l’année.
Chapitre 16
Ce fut un cri qui tira Conan de ses pensées, un cri provenant de plus loin dans les bois, droit devant. Un cri de femme. Il restait donc quelqu'un ? Peu importe ce que les sorcières avaient pu faire, personne ne méritait un tel sort que celui connu par les victimes de la clairière. Inspirant un grand coup par la bouche pour éviter de sentir à nouveau la puanteur, le policier s'élança en direction du bruit.
Il ne mit pas longtemps à trouver. D'autres cris lui indiquaient le chemin à suivre. Sa route l'amena jusqu'au pied d'une falaise, sans doute une partie des monts d'Arrée, collée directement à la forêt. Là, il vit qui avait crié.
Une femme, portant encore la tenue de la congrégation ainsi que son masque, était recroquevillée sous un arbre. Elle tenait dans sa main un couteau, semblable à celui dont Brigitte s'était servi pour couper les vêtements de Conan, qu'elle agitait devant elle avec le vain espoir de repousser la créature la plus effroyable que le policier eut jamais vue ! Le monstre mesurait facilement plus de deux mètres cinquante, se dressant sur ses deux pattes arrières comme un humain. Son corps entier était recouvert d'une fourrure d'un noir si profond que même celle du molosse du Yeun Elez paraissait claire à côté. Malgré son épaisseur, la couche de poil ne camouflait qu'à peine les muscles puissants de la bête, roulant frénétiquement sous une peau d'aspect aussi solide que le cuir.
Le corps, humanoïde, était surmonté d'une tête de loup aux yeux jaunes brillant d'un air mauvais. Les babines étaient retroussées, dévoilant des crocs d'un jaunâtre malsain, laissant goutter de la salive sur le sol. Les griffes de la chose étaient longues comme des couteaux de boucher, et semblaient aussi aiguisées. Tout dans cette bête respirait la brutalité, la puissance, mais également une soif inextinguible de sang.
La sorcière se mit à parler. Au son de sa voix, Conan constata, même en dépit du masque lui cachant le visage, qu'elle pleurait à chaudes larmes.
– Ce n'est pas ce qui était convenu ! Tu devais me débarrasser d'elles et me laisser en vie ! Je t'en supplie, vas-t-en !
La bouche obstruée, couplée aux trémolos dans la voix, faisait que l'inspecteur ne parvenait pas à reconnaître le timbre de celle en train d'implorer. Il semblait qu'il allait devoir attendre encore un peu pour savoir si son intuition était bonne ou non...
Si le loup-garou avait compris la moindre de ces imprécations, il n'en laissa rien paraître. Il se contenta de pousser un hurlement en direction de la lune, avant de s'approcher de sa future victime. Conan avait l'impression que chacun des pas de ce monstre faisait trembler la terre. Réunissant tout ce qu'il avait de courage en lui, le policier sortit du couvert des ombres de la forêt, visant le dos de la bête avec son arme. Inspirant profondément, il tira.
Si le monstre ne s'était pas soudainement arrêté, l'inspecteur aurait pu croire qu'il l'avait manqué. Malheureusement, le léger cliquetis émis par le projectile touchant le sol prouva qu'il l'avait bel et bien eu, mais qu'il n'avait même pas percé sa peau.
La chose se retourna lentement, une lueur démente dans son regard. Conan visa et fit feu une nouvelle fois, atteignant l’œil gauche de la bête. La balle n'eut pas plus d'effet. Même les paupières du loup-garou étaient trop solides !
L'inspecteur aurait pu continuer à tirer, toutefois il voulait essayer autre chose. Il devait bien ça à Thomas.
– Baptiste ?
Le loup-garou marqua un temps d'arrêt. Le policier crut voir passer dans son regard une étincelle de compréhension, mais peut-être s'agissait-il simplement d'une hallucination lui montrant ce qu'il voulait désespérément voir.
– Baptiste ? C'est moi, Conan. Est-ce que tu me reconnais ?
Il s'approcha, écartant légèrement les bras pour prouver au jeune homme transformé qu'il ne lui voulait pas de mal.
– Écoute, je sais ce qui t'es arrivé. Je sais pourquoi tu as fait ce que tu as fait. Mais je sais aussi que ce genre d'histoires finit rarement bien. Arrête les frais, maintenant, et il y aura encore moyen de tout arranger.
C'était un mensonge, évidemment. Rien qu'avec ce qui se trouvait dans la clairière, il y avait des chances pour qu'on ré-institue la peine de mort pour le coupable. Cependant, Conan devait essayer de gagner du temps. Il ne savait pas vraiment ce qu'il espérait. Contre une créature dont la peau ne pouvait pas être percée par les balles ; qu'il y ait un policier ou un millier ne ferait pas une grande différence.
Pourtant, il fallait qu'il continue à lui parler. Chaque seconde qu'il gagnait tandis que Baptiste écoutait était une seconde durant laquelle il ne se faisait pas éventrer comme un poulet.
– Tu n'as plus à faire ça, petit. Toutes les responsables sont mortes. Tu as eu ce que tu voulais...
Le loup-garou s'approcha encore, jusqu'à se tenir juste devant Conan. Derrière lui, la sorcière était recroquevillée, visiblement paralysée par la peur. L'inspecteur voulait lui hurler d'en profiter pour s'enfuir mais maintenant que la bête se tenait devant lui, le dominant de toute sa hauteur, il avait l'impression que sa bouche était remplie de coton.
Le monstre était encore plus terrifiant de près, si grand qu'il cachait presque la lune au policier. De son corps massif émanait une odeur désagréable, mélange de musc, de sang et, Conan ne s'était pas trompé, de formol. Les relents étaient si puissants qu'ils firent monter les larmes aux yeux de l'inspecteur, à moins que ce ne fut simplement la peur.
La créature, pourtant, semblait avoir sinon compris les paroles prononcées, à minima les avoir entendues. Il pencha la tête d'un côté, puis de l'autre, tel un chien tentant de saisir le sens des mots de son maître.
Conan en était presque à espérer une issue pacifique à tout ça, malheureusement il dut vite déchanter.
Plus loin dans la forêt, un cri résonna. Il ressemblait assez à celui du loup-garou, mais l'être l'ayant émis était sans doute moins massif. Quelle que fut la créature à l'origine du bruit, Baptiste n'apprécia pas. Il décocha un puissant revers de sa patte droite, atteignant l'inspecteur au torse pour l'envoyer percuter un arbre.
Le choc fut si brutal que Conan crut qu'il allait en mourir. Il était de bonne constitution et le fait de pouvoir remuer les orteils lui indiquait que par chance, sa colonne vertébrale n'avait rien, toutefois la douleur qui lui perçait le ventre à chacune de ses inspirations était le signe que plusieurs de ses côtes avaient été cassées net. À genoux, tenant toujours son arme comme il pouvait, il cracha une bouillie où se mêlaient salive et sang. Il essaya de se relever, mais le loup-garou était déjà devant lui.
La créature leva la patte, ses griffes acérées accrochant un rayon de lune. Conan tenta de viser, mais le coup qu'il venait de recevoir l'avait rendu si nauséeux qu'il avait l'impression de voir double. Fermant les yeux, il attendit de ressentir la douleur de ses entrailles déchirées par la bête...
Un son retentit à la gauche des deux combattants, un hurlement suivi d'un bruit de fourrés. Ouvrant les paupières, l'inspecteur n'eut que le temps de voir un éclair noir se précipiter sur le monstre qui le dominait.
Le chien ! Il avait sauté sur Baptiste et lui mordait maintenant le cou, les épaules, le crâne, en s'accrochant tant bien que mal avec ses griffes tandis que sa cible essayait de le déloger en se débattant.
Les efforts du molosse étaient à peine suffisants pour entamer le cuir de son adversaire, cependant cela donna au policier le temps nécessaire pour se relever.
Conan se sentait...bizarre. La douleur était en train de refluer, pour ne laisser place qu'à une vague d'adrénaline et de colère. Une telle chose lui était déjà arrivée à l'armée, en plein milieu d'une embuscade. Il se fichait désormais des risques, tout ce qu'il voulait c'était en découdre.
Il visa, attendant que le loup-garou, toujours aux prises avec le chien, lui tourne le dos, puis tira. Il avait bien mieux visé qu'auparavant, sa balle pénétrant dans une blessure ouverte par le molosse.
Le monstre grogna, bien que cela semblait plus être de frustration que de douleur. D'un mouvement rageur, il parvint finalement à saisir l'animal qui le tourmentait, le jetant au loin comme une vulgaire poupée de chiffon. Il tourna ensuite ses yeux jaunes vers l'inspecteur.
– Viens te battre ! fit ce dernier, conscient pourtant que cela n'augmentait pas ses chances de survie.
La bête grogna et s'élança vers le policier, qui se jeta au sol pour éviter l'impact, profitant de son mouvement pour tirer à deux reprises dans son dos. Les projectiles ricochèrent encore, énervant encore plus son ennemi.
Tant mieux, pensa Conan. Plus il s'énerve, plus il prend le risque de commettre une erreur.
Malgré tout, il n'avait pas d'idée vraiment précise pour arrêter cette chose. Même en jouant au chat et à la souris, impossible de le blesser suffisamment pour le stopper. À moins que...
Une idée folle traversa l'esprit du policier. S'il faisait ça, il avait de bonnes chances de tuer Baptiste, mais également d'y rester lui-même...en outre, pour mettre son plan à exécution, il allait avoir besoin du couteau de la sorcière.
Évitant un nouveau coup porté en direction de sa tête, l'inspecteur se baissa pour s'élancer vers l'endroit où se trouvait la lame. Malheureusement pour lui, cette position ne lui permit pas d'esquiver un second assaut. Les griffes du loup-garou labourèrent profondément la chair de son flanc droit, arrachant le cuir de sa veste comme s'il ne s'agissait que de papier mâché. Avec un grognement de douleur, l'homme se retourna pour tirer dans l’œil de son ennemi, le touchant uniquement à l'arcade. La cible était trop petite. Dans son état, il allait devoir s'approcher s'il voulait avoir une chance de la toucher...
À cet instant, le molosse noir repartit à l'attaque de la créature, essayant cette fois d'arracher les tendons de ses pattes arrières. Le policier vit que le chien boitait et qu'un de ses crocs était brisé, laissant échapper un filet de sang, cependant il ne pouvait pas lui venir en aide. Pas tout de suite. Il devait d'abord profiter de la diversion qui lui était offerte.
Tenant une main contre son ventre lacéré, Conan atteignit finalement la sorcière. Se penchant vers elle, il posa la main sur son couteau. Elle était si tétanisée qu'elle ne parvenait pas à lâcher l'arme.
– Je n'ai pas le temps de jouer à ça, dit l'inspecteur, agacé. Donnez-moi cette chose où on est tous mort !
Cette phrase eut un certain effet sur la femme, qui desserra suffisamment sa prise pour que le policier puisse s'emparer de la lame. Elle était courte, légère, facile à manier, parfaite pour ce qu'il avait prévu. Prenant une grande inspiration, pour tenter de se donner du courage, il poussa un hurlement et se lança, aussi vite que son état le lui permettait, à la rencontre du loup-garou.
Celui-ci, avec un dernier mouvement d'une de ses pattes, parvint à entailler le dos du molosse jusqu'à l'os, repoussant l'animal. En grognant, il se tourna vers l'inspecteur qui se précipitait vers lui. L'homme tenta de lui mettre un coup de couteau dans la patte avant droite, sans succès. La lame ne fit que riper sur la peau épaisse du monstre.
Pas le choix donc, pensa-t-il. Il faut vraiment que j'attaque au seul endroit non protégé...
De toutes ses forces, il frappa chacun des endroits qu'il était en mesure d'atteindre. Les pattes avant, arrière, le torse, le ventre...Il ne cherchait toutefois pas à blesser son opposant, ayant déjà compris qu'il n'y parviendrait pas comme ça, mais à l'agacer. Il avait besoin que la bête ait envie de le massacrer, pas de le tuer rapidement.
Sa stratégie fonctionna, peut-être même un peu trop bien. Le loup-garou saisit Conan à la gorge, le serrant si fort que l'inspecteur s'étonna que son cou ne soit pas réduit en poussière, et lui planta ses griffes dans la cuisse avant de les faire remonter, ouvrant la chair sur toute la longueur. Le policier hurla. À en juger par l'éclat dans les yeux de la bête, il appréciait ce son. Mais sa tête était encore trop loin.
Au rythme avec lequel il perdait son sang, Conan n'avait plus beaucoup de temps devant lui. Son flanc ainsi que sa jambe étaient si lacérés qu'il sentait déjà la tête lui tourner. Finalement, il décida d'abattre sa dernière carte. Si celle-ci ne fonctionnait pas, il mourrait et Baptiste massacrerait tout ce qui se trouverait sur sa route.
L'inspecteur cessa de se débattre. Il se fit le plus inerte possible ce qui, au vu de son état, n'était pas difficile. Seules ses mains restèrent crispées, tenant ses armes. Il ferma les yeux, adressant à qui voudrait bien l'entendre une prière demandant que son idée se révèle payante.
Une seconde passa, puis deux, puis trois, pourtant il avait l'impression qu'il s'agissait d'années entières. Enfin, la chance lui sourit, et il sentit ce qu'il voulait sentir ; une truffe froide et humide reniflant sa proie.
Le monstre, décontenancé par l'immobilité soudaine de sa prise, avait approché son museau pour tenter de comprendre ce qu'il se passait. Un réflexe d'animal, sur lequel Conan avait tout misé. Avec un hurlement de rage, il plongea le couteau qu'il tenait de sa main gauche directement dans l’œil du loup-garou, l'enfonçant jusqu'à la garde.
La bête hurla, lâchant immédiatement sa victime pour essayer d'apaiser la douleur cuisante qu'elle sentait provenir de son faciès. Malheureusement, la lame n'était pas assez longue pour atteindre le cerveau, blessant le monstre sans le tuer. Pourtant, l'inspecteur ne put étouffer en lui le plaisir sadique qu'il ressentit à faire hurler de douleur son adversaire.
Baptiste arracha l'arme de son orbite, délogeant en même temps son globe oculaire réduit à une bouillie sanguinolente, puis broya le couteau entre ses pattes puissantes, le rendant inutile.
Cela n'inquiéta pas Conan, qui n'en avait de toute manière plus besoin. Tout ce qu'il lui fallait maintenant, c'était monter sur le dos de la créature.
Réunissant tout ce qui lui restait de force, il s'élança vers son adversaire, toujours en train de gesticuler pour tenter de faire disparaître la douleur. Il évita un premier coup de griffe lancé à l'aveugle, un second, fut un peu trop lent pour éviter le troisième qui lui ouvrit le front au-dessus de l’œil droit, mais parvint à s'accrocher aux épaules du loup-garou, plié en deux.
Quand elle sentit quelque chose grimper sur elle, la créature essaya de s'en débarrasser, ruant et cabrant tel un cheval en colère, cependant l'inspecteur tenait bon. Dans un dernier effort, il se hissa au niveau du crâne de Baptiste et, levant son bras, enfonçant le canon de son pistolet droit dans l'orbite désormais vide du monstre.
– Tu vas en prendre plein les yeux, enfoiré !
Appuyant frénétiquement sur la gâchette, le policier vida tout son chargeur droit dans le crâne de la bête, atteignant cette fois le cerveau. Il continua à essayer de tirer même après avoir entendu le cliquetis indiquant que son pistolet était vide.
Le loup-garou poussa un dernier hurlement à la lune avant de s'effondrer, mort. Conan ne fut pas assez rapide pour rouler hors de portée et sa jambe se retrouva coincée, brisée net par le poids de la créature.
Mais cela n'avait pas d'importance. Il avait réussi, il avait arrêté le meurtrier du Yeun Elez.
Peu à peu, le corps de la bête changea, se contorsionnant et se tordant. Les traits s'affinèrent, jusqu'à redevenir roses et flasques, les poils ainsi que le cuir épais disparurent, remplacés par de la peau rose, les membres rapetissèrent... Le cadavre devint celui de Baptiste, conservant malgré tout les blessures qu'il avait reçues pendant le combat. L'inspecteur bougea sa jambe de sous le corps, avant de poser sa veste sur le visage du jeune garçon. Il espérait que ni Marlotte ni Thomas n'aurait l'idée stupide de regarder sous le vêtement, en tout cas pas tout de suite.
Rampant jusqu'à l'arbre le plus proche, Conan s'y adossa, respirant avec difficulté, des flots de sang s'écoulant toujours de son corps. Il avait sommeil, de plus en plus sommeil...
Pourtant, il lui restait une chose à faire. Il vit la sorcière se relever, essayant de s'enfuir. Il l'arrêta d'un simple nom.
– Ma...Marie !
La femme stoppa ses pas. Elle ne se retourna pas, mais le policier vit à ses poings crispés ainsi qu'aux soubresauts de ses épaules qu'il avait vu juste.
– ...Pourquoi ?
Avec de lourds sanglots, elle arracha son masque et vint s'asseoir près de son ami.
– Pardon grognard, fit-elle avec des larmes coulant sur ses joues. Pardon, pour tout ! Je ne voulais pas que ça aille aussi loin...
Elle pleura pendant encore quelques secondes, avant de prendre une grande inspiration pour se calmer.
– Quand j'ai perdu mon père, ça a été si...difficile, que je ne pensais plus qu'à essayer de le ramener. Je me suis plongé dans des études desquelles je n'aurais pas dû m'approcher, et j'ai fini par entendre parler des sorcières. Quand je leur ai demandé leur aide, elles m'ont affirmé qu'elles pouvaient le faire revenir. Mais que pour cela, il allait falloir un sacrifice. Alors, la première cérémonie à laquelle j'ai assisté, elles m'ont ordonné de tuer un homme qu'elles avaient capturé, et je l'ai fait ! Si tu savais comme je regrette !
– Pourquoi...être...restée ?
– Ces sales garces m'avaient menti. Même elles ne pouvaient pas faire revenir les morts. Mais j'étais coincée. J'avais commis un meurtre pour elle. Elles ont dit qu'elles me dénonceraient si j'essayais de partir, alors je suis restée. Quand la malédiction a été lancée, j'ai su que j'avais enfin une chance de me débarrasser d'elles. J'ai prévenu Baptiste, en lui disant qui était ses cibles et où il pourrait les trouver. En échange, je lui ai demandé de me laisser en vie, ainsi que de toutes les massacrer pour être sûre qu'elles ne me tourmenteraient plus jamais...
La jeune femme se remit à pleurer.
– Je suis désolée, tellement désolée, mais...
– « Il ne faut jamais sous-estimer ce dont une femme est capable lorsqu'elle perd un être cher », fit Conan en se remémorant ce que Brigitte lui avait dit quand elle avait voulu le sacrifier. Cette femme...en retrait, le soir où on devait me tuer, c'était...toi ?
Marie acquiesça, incapable de répondre avec des mots.
C'est à cet instant que l'inspecteur entendit des pas, des aboiements, et des ordres hurlés, plus loin dans la forêt. Les renforts arrivaient enfin.
Il savait que c'était une erreur, cependant il ne se sentait pas la force de faire autrement.
– Va...t'en, Marie, articula-t-il. Pars, maintenant, et ils ne t'attraperont pas...
– Non grognard, répondit-elle en sanglotant. Je dois payer pour ce que j'ai fait. Je vais les laisser m'arrêter...
Avec difficulté, l'inspecteur, prit le col de la toge de la jeune femme.
– Pas de...discussions, gamine. Ne le fais pas pour toi, fais le...pour ton père. Reste libre et...essaye de réparer...le mal que tu as fait...
Elle sembla hésiter encore quelques secondes, avant de finalement se lever et se mettre à courir, disparaissant sous le couvert des bois.
Pour la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité, Conan était en paix. Il n'avait plus à s'inquiéter de rien. Tout ce qu'il souhaitait désormais, c'était dormir. En fait, il ne se souvenait même plus de quand il avait été si fatigué pour la dernière fois. Il sentit une forme velue, marchant sur quatre pattes, s'allonger près de lui, avant de sentir une truffe humide se lover doucement dans le creux de sa main.
Conan était léger, calme. Quand il vit les faisceaux des lampes torches arriver il ferma les yeux, se laissant lentement dériver dans les ténèbres..
Un article de la Société Française de Mythologie a attiré notre attention à propos du culte qui était rendu en haut du Menez-Hom et ses conséquences sur le paysage. L'auteur, M. Bernard Sergent expliquait l'origine du nom du lieu-dit les 3 canards, où se trouve d'ailleurs notre siège social, en le reliant à la déesse celte dont une statuette gallo-romaine avait été retrouvée sur les flancs du Menez-Hom en 1913. Pour synthétiser son propos, des avatars de cette déesse apparaissaient sous les traits de Sainte-Brigitte ou d'une princesse du même nom dans plusieurs contes de Haute-Bretagne. Dans les dits contes, la princesse Brigitte invoquait sa sainte patronne pour se protéger d'un danger lié à la mer et se retrouvait métamorphosée en cane et ses enfants en canetons, toujours au nombre de douze. Il en déduisait, à juste titre, que la déesse originelle avaient douze enfants que, pour une raison ou pour une autre, elle transformait en canetons. M. Sergent en concluait que les trois canards du lieu-dit, qui sont des collines pouvant apparaître comme les enfants du Menez-Hom tout proche, étaient une réminiscence des enfants de la déesse celte et c'est pour cette raison qu'ils avaient conservé ce nom. Après avoir rappelé qui était cette déesse celte, nous observerons le paysage alentour du Menez-Hom pour tenter de confirmer la Théorie de M. Sergent.
Qui était donc cette déesse retrouvée sur les flancs du Menez-Hom en 1913 ? Sa statue est désormais au musée de Bretagne à Rennes, mais on peut voir une reproduction de sa tête dans le hall d'accueil de la mairie de Dineault, village dont dépend le Menez-Hom. Il s'agit d'une jeune fille casquée représentée à la manière de la déesse latine Minerve avec un casque orné selon les ornithologues consultés, d'un cygne sauvage. Jules César dans ses ouvrages sur la guerre des Gaules (VI, 17) s'exprime ainsi : « Parmi les dieux, ils (les gaulois) adorent principalement Mercure (…), ensuite Apollon, Mars, Jupiter et Minerve (…). Minerve préside aux travaux manuels d'art. » Bien que les romains aient eu tendance à simplifier les dieux celtes pour les assimiler, la Minerve mentionnée ici peut être rapprochée de la statuette retrouvée sur les flancs du Menez-Hom. Il s'agit donc d'une déesse en rapport avec la guerre et les travaux manuels. Pour essayer de la trouver parmi le panthéon celtique, il importe de se tourner vers les textes qui ont su garder la trace de cette mythologie, à savoir les écrits irlandais et gallois. Nous y découvrons alors une déesse trinitaire de premier plan appelée Brigit, avatar de la déesse mère primordiale. Elle incarnait, selon Y. Brekilien dans son livre La mythologie celtique, la fertilité, l'habileté intellectuelle et l'habileté technique. Elle était la patronne des druides et des poètes ainsi que des forgerons et des médecins. Fille du dieu Dagda, elle sera nommée Brigantia en Ecosse, Berc'hed au pays de Galles et en Bretagne et Bélisama en Gaule. Lors de sa naissance, la maison de son père fut illuminée et sa tête fut entourée par un halo lumineux à la manière de la représentations des saints catholiques plus tard. Cela lui vaudra le surnom de « lumineuse » ou « très brillante ». Sa trinité recouvrait les différentes catégories de la société indo-européenne chère à Georges Dumézil. Ainsi son côté religieux apparaissait-il dans son patronage des druides, car elle était la mère des trois premiers. Son côté paysan et nourricier apparaissait dans son incarnation de la fertilité car elle donnait l'abondance en passant dans les maisons qu'elle avait choisies en laissant une empreinte de son pied dans la cendre du foyer. Son côté guerrier se traduisait dans sa protection des forgerons qui fabriquaient les armes et explique ses représentations casquées. Elle présidait aussi aux beaux-arts et aux activités liées à la féminité comme le tissage. Patronne des sources thermales, elle était également la déesse mère guérisseuse et pouvait redonner la vie. On la fêtait le 1er février lors de la grande fête de purification d'Imbolc au cours de laquelle on lui sacrifiait un poulet, enterré vivant, à la confluence de trois cours d'eau. Dans la mythologie irlandaise, donc, elle était la fille du dieu Dagda, le dieu le plus important des celtes, le dieu-druide qui régnait sur le temps, l'éternité, la vie et la mort. On le reconnaissait à ses deux attributs principaux : une massue avec laquelle il pouvait tuer et un immense chaudron qui ressuscitait celui qui y était plongé. Dagda était omniscient et omnipotent. À la naissance de sa fille, tout super dieu qu'il était, Dagda fut impressionné par ce qui arriva : un cercle de feu se forma autour de la tête de sa fille, si brillant, que toute la maison sembla s'embraser. La grande lumière avait donc décidé de faire de Brigit sa représentante. Tout se passa bien pour elle au début. Brigit était la déesse de la lumière, des druides, des bardes dont elle aimait écouter la musique pendant des journées entières. Elle était aussi la déesse des forgerons à qui elle avait transmis les secrets pour créer des métaux plus résistants que le simple cuivre. Déesse également de la fécondité, il lui arrivait de se transformer en vache toute blanche et d'aller combler une famille ou une tribu en suscitant des moissons extraordinaires ou en distribuant des trésors. Elle passait parfois aussi par la cheminée en laissant une trace de ses pieds dans la cendre du foyer. Tout se passa bien donc jusqu'à ce que son père, Dagda, s'enivre lors d'un banquet et blesse à l'oeil le dieu Midir qui régnait sur le royaume des fées. En guise de compensation, Midir réclame un manteau, un char et la plus belle des déesses qui n'était autre que Brigit. Dagda accepte à contrecœur. Dès que Midir voit Brigit, il en tombe amoureux et réciproquement. Mais Midir a déjà une femme légitime, la magicienne Fuamar qui est d'une extrême jalousie. Dès qu'elle apprend ce qui s'est passé avec son mari, elle devient folle de rage et poursuit Brigit en se servant des plus puissants sortilèges de sa magie. Toutefois Brigit est une déesse et ne peut donc être tuée. Fuamar la transforme en mare d'eau en la touchant avec une branche de sorbier. Mais elle se dit que son mari pourrait boire cette eau pour ne faire qu'un avec sa maîtresse. Alors elle la transforme en mouche et la fait emporter par les vents pendant 7 années. Mais elle se dit que son mari pourrait l'avaler par mégarde. Alors elle la transforme en minuscule asticot et la fait tomber dans le monde des hommes. Brigit tombe pendant un temps infini et termine dans une coupe d'hydromel qu'une reine s'apprêtait à porter à sa bouche. Et voilà Brigit avalée par cette femme qui, du coup, tombe enceinte et lui permet de renaître sous forme humaine 9 mois plus tard. Apprenant ce qui s'est passé, Midir devient fou de rage et de douleur. Il fait exécuter sa femme Fuamar et part à la recherche de Brigit. Il va la chercher pendant 20 ans et lorsqu'enfin il va la reconnaître parmi les humains, elle est malheureusement mariée à quelqu'un : le roi Eochaid avec qui elle a eu douze enfants. Midir propose au roi une partie d'échecs avec son propre royaume des fées comme enjeu, contre son épouse. Eochaid accepte et perd ! Mauvais joueur, il refuse de tenir parole, bannit Midir hors de son royaume et enferme Brigit, avec sa progéniture, dans son palais. Mais Midir ne s'en laisse pas raconter. Il parvient à se faufiler à l'intérieur du palais et rejoint Brigit. Il la transforme en cygne avec ses enfants et se transforme à son tour, puis tous s'envolent définitivement vers le monde des fées où Midir fera de Brigit sa nouvelle reine. Selon Marie-Louise Sjoestedt dans son livre Dieux et héros des celtes, cette déesse a survécu jusqu'à aujourd'hui sous les traits de Ste Brigitte, la sainte irlandaise par excellence et le pendant féminin de St Patrick. Ste Brigitte a conservé beaucoup de caractéristiques de l'ancienne déesse. Elle préside notamment aux accouchements depuis qu'elle a aidé la Vierge Marie à accoucher dans l'étable de son père à Bethléem. La statuette trouvée au pied du Menez-Hom correspond donc, par son apparence, à la description de la déesse celte appelée Brigitte en Irlande et Bélisama en Gaule, mais peut-on trouver d'autres indices de cette confirmation dans le paysage du Menez-Hom et alentours ?
Le Menez-Hom, avec ses 330 mètres d'altitude, est une hauteur remarquable dans le paysage local. Comme on sait qu'à ses pieds se trouvait un fanum (temple) gallo-romain remplacé plus tard par une église chrétienne devenue Sainte-Marie du Menez-Hom, on peut en déduire qu'il s'agissait d'un lieu de culte à la déesse dont on a retrouvé la statuette et que l'Eglise a voulu christianiser.
Nous savons également, si nous suivons l'hypothèse de M. Sergent à propos du lieu-dit des trois canards que les enfants de la déesse Brigitte/Bélisama, transformés en canards (en cygnes?), étaient au nombre de douze (les douze mois de l'année ?). Lorsque nous montons en haut du Menez-Hom et que nous regardons alentours, nous pouvons constater de visu qu'il y a douze mamelons dans le paysage qui entourent le Menez-Hom, y-compris les trois collines en enfilade qui ont conservé leur appellation palmipède. Un emplacement de choix, donc, pour traduire dans le paysage le mythe de la déesse. Si l'on ajoute à cela que le sacrifice à cette déesse trinitaire consistait à enterrer un poulet vivant à la confluence de trois cours d'eau, il devrait y avoir un endroit de ce genre dans les parages du Menez-Hom. En étudiant une carte IGN nous en avons repéré un près du hameau de Kerguilly, 2,5 kms à l'ouest du sommet du Menez-Hom et devinez quoi ? C'est là que la statuette de la déesse a été retrouvée en 1913 !
Tous ces indices tendent à confirmer que le Menez-Hom était bien un lieu de culte de première importance pour la déesse trinitaire de la lumière qu'était Brigitte/Bélisama.
Il y avait une fois une bonne dame de Quimper très riche qui aimait beaucoup les chats. Elle en avait neuf qu'elle faisait manger à table avec elle : chacun avait sa chaise et son assiette. Elle disait toujours que les bêtes valaient mieux que les gens, qu'elle ferait son testament pour ses chats et qu'elle leur laisserait toute sa fortune, même si elle ne s'appelait pas Brigitte.
Mais elle avait un neveu qui aurait bien voulu hériter de sa tante et cela l'ennuyait fort de voir toutes ces bêtes-là dans la maison. Quand il venait voir la dame, il ne ratait pas une occasion de lui dire que les chats étaient des bêtes du diable et que ce n'était pas normal de tant les aimer. Peine perdue ! La tante ne faisait que rire à ses arguments et en chérissait d'avantage ses chats.
Or, une fois, elle fut obligée de s'absenter pendant deux jours afin d'aller voir les locataires de ses gîtes de vacances en pays bigouden . Elle demanda donc à son neveu de venir chez elle pour s'occuper des animaux moyennant bien sûr espèces sonnantes et trébuchantes.
Le neveu ne se fit pas prier. Quand l'heure du repas arriva, il demanda aux serviteurs de mettre le couvert des chats comme d'habitude et quand les chats furent installés, il sortit un fouet et tenta de les frapper avec. Mais les chats furent plus rapides et esquivèrent. Il s'en suivit une course poursuite tout autour de la maison jusqu'à ce que les félins se réfugient en haut des grandes armoires de la chambre de la tante.
Comme les domestiques arrivaient, attirés par le bruit, le neveu fut bien obligé de ranger son fouet et de laisser les chats venir manger. Ce qu'ils firent avec un regard de défi.
Le lendemain, le neveu décida de changer de stratégie. Il versa du somnifère dans le ragoût pour endormir les chats, les mettre dans un sac et les envoyer au fond de la rivière. Il trouverait bien une explication à donner ensuite à sa tante quant à leur disparition.
Cependant, un des chats l'avait vu faire et alla prévenir les huit autres. Ils s'arrangèrent pour faire tomber le neveu la tête la première dans la marmite de soupe qu'il avait spécialement concoctée pour eux alors qu'il l'apportait, puis tirèrent la nappe de la table sur laquelle se trouvait une bouteille de vin qui vint se renverser sur le neveu déjà en train de dormir.
Les matous savaient que lorsque leur maîtresse reviendrait, elle découvrirait un neveu ronflant et sentant l'alcool, ce qui le ferait tomber en disgrâce. Cela valait bien de sauter un repas.
Satisfaits de leur affaire, ils allèrent tous se pelotonner dans leur corbeille respective près des radiateurs et s'endormirent en ronronnant de plaisir avec le sentiment du devoir accompli.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
Petit récapitulatif des traditions pascales.
La coutume des œufs de Pâques se rattacherait au Carême.
Dès le IVème siècle, l'usage des œufs pendant la pénitence de quarante jours est interdit par l’Église. Une grande quantité d'oeufs se trouvant entassée dans les provisions des ménages, le moyen le plus expéditif de s'en débarrasser était de les donner aux enfants.
Dès le XII ème siècle, dans de nombreux pays européens, les gens du peuple avaient l'habitude de s'échanger des œufs simplement bénis à l'église.
A partir du XV ème siècle, avec la paranoïa généralisée liée à la sorcellerie, l’œuf, symbole de vie qui paradoxalement entre dans les ingrédients de sorts appelant la mort, devient suspect s'il est offert. Cette suspicion durera en Basse-Bretagne jusqu'au XIX ème siècle.
Les nobles vont transformer la coutume. Ils s'adressent à des peintres, des orfèvres et des graveurs pour se faire faire des oeufs-joyaux, c'est à dire décorés de peintures délicates, d'émaux ou de pierres précieuses. L'échange des œufs de Pâques prend une autre dimension. En ce qui concerne la surprise contenue dans l’œuf, c'est une tradition qui remonte au XVI ème siècle.
La tradition des œufs de Pâques n'est certifiée qu'au cours du XVI ème siècle à la cour des rois de France. Louis XIV faisait bénir solennellement le jour de Pâques de grandes corbeilles d’œufs dorés qu'il remettait lors d'une cérémonie à ses proches.
Au XVIIème et XVIIIème siècles jusqu'à la révolution l'échange des œufs était l'apanage de la cour et de la noblesse. L’œuf le plus gros du royaume, pondu pendant la Semaine Sainte, revenait de droit au roi. C'est aussi au XVIIIe siècle, en France, qu'on décida de vider un œuf frais et de le remplir de chocolat.
Au XIX ème siècle, pour copier la noblesse, la bourgeoisie s'empara à son tour de cette tradition. On peut distinguer les œufs teints que l'on consomme, des œufs décorés que l'on conserve et que l'on offre à sa famille, à ses amis en témoignage d'amour et d'amitié. La force de l'habitude vaincra les diverses réticences et la Basse-Bretagne finira par adopter cet usage comme le reste de la France, surtout lorsque l’œuf véritable sera remplacé par du chocolat.
Les cloches ne sont plus utilisées à partir du mercredi avant Pâques
Arnold Van Gennep, ethnologue français, nous apprend que dès le VIIIe siècle, l’on cesse de sonner les cloches (ainsi que les clochettes d’autel) dans les églises, afin de commémorer dans le recueillement la mort de Jésus Christ. C’est à la fin du IXe siècle que le remplacement des cloches de métal par des instruments de bois (crécelle, martelet, etc) du Mercredi Saint à la messe tardive du Samedi Saint est codifié dans certains monastères. L’uniformité de la coutume ne commença de s’établir que vers la fin du XIIe siècle.
Aux offices, dès le Jeudi Saint, la crécelle ou le claquoir remplace la sonnette d’autel.
Pour annoncer les différents moments de la journée, l’angélus, les offices religieux, les crécelleurs (le plus souvent les enfants de chœur) passent dans toutes les rues du village en faisant tourner leurs crécelles et crient : « C’est l’angélus … »; chaque appel est ponctué d’un tour de crécelle. Quand les cloches reprenaient du service lors de la nuit pascale, les crécelleurs cessaient le leur ! Ils faisaient ensuite le tour du village, allant de porte en porte pour quêter œufs frais ou en sucre, ou des pièces de monnaie. On trouve plusieurs type de crécelles, le martelet : planchette munie d’un manche sur laquelle vient frapper alternativement d’un côté et de l’autre un petit maillet ; la crécelle : roue dentée montée sur un manche et sur laquelle vient frapper une lamelle en bois flexible ; c’est un moulinet de caractère rotatif ; le livre : formé de deux planchettes reliées au sommet et qu’on fait frapper l’une contre l’autre ; c’est le principe des castagnettes. A noter que certaines crécelles fixes peuvent mesurer plusieurs mètres de long !
Les œufs ne pouvaient être consommés avant Pâques
Autrefois, les œufs ne pouvaient être consommés pendant le carême. Ils étaient engrangés pendant cette période et souvent conservés dans l’eau de chaux. On les ressortait pour les festivités de Pâques où ils étaient mangés en fricassées mais aussi en œufs durs. De plus, l’œuf était particulièrement bien adapté à la mythologie de Pâques puisqu’il a toujours été reconnu comme symbole de fécondité et de prospérité.
Les cloches partent pour Rome et rapportent des oeufs
C’est la conjugaison de ces deux faits qui a donné naissance à la légende. Pour expliquer l’absence de sonnerie pendant cette période, on a dit longtemps aux enfants que les cloches partaient à Rome pour aller chercher leurs œufs bien sûr. Pour le voyage, les cloches se munissent d’une paire d’ailes, de rubans ou (parfois) sont transportées sur un char. On disait qu’elles revenaient chargées de friandises et, en battant à toute volée, qu’elles les déversaient dans les jardins et les prés, sur les balcons des appartements. Mais leur vol est si rapide qu’aucun adulte ne les aperçoit. Cependant quelques enfants plus attentifs et observateurs les découvrent à leur plus grande joie. Un nuage blanc qui file à l’horizon, un oiseau qui traverse l’espace comme un éclair, il n’en faut pas d’avantage pour que l’imagination de l’enfant ne s’emballe. Une mystérieuse chasse aux trésors s’organise au petit matin de Pâques et fait la joie des petits et des grands.
L’illustration ancienne la plus connue évoquant le voyage des cloches est probablement la gravure de Grandville (1803-1847) intitulée Le Voyage des cloches à Rome. Cet illustrateur se rendit célèbre avec ses caricatures d’hommes politiques à têtes d’animaux.
Le jour de Pâques célèbre la résurrection de Jésus-Christ chez les chrétiens.
ALORS JOYEUSES PÂQUES A TOUS !!
Le roi Arthur venait d'être couronné. Il était désormais roi de toutes le bretagnes mais cela lui causait beaucoup de soucis, tellement de soucis qu'il en perdit le sommeil. Il ne fut bientôt plus que l'ombre de lui-même à force de ne plus dormir et les problèmes commencèrent à s'accumuler sur le royaume.
Son épouse, la reine Guenièvre, voyait bien que quelque chose clochait. Alors elle alla voir l'enchanteur Merlin pour lui demander conseil.
– Le roi se fait trop de soucis, lui répondit ce dernier. C'est ce qui l'empêche de dormir et comme il dort mal, il ne parvient plus à résoudre les problèmes qui s'accumulent. Cela augmente encore ses soucis, c'est un cercle sans fin.
– Que faire alors ? demanda la reine inquiète.
– Lorsque Arthur a eu besoin d'aide pour devenir roi, il est allé voir la Dame du Lac qui lui a donné Excalibur. Qu'il retourne donc la voir et lui explique son problème, elle est toujours de bon conseil.
Guenièvre répéta tout à Arthur qui s'empressa d'aller voir la Dame du Lac.
– Envoie les chevaliers de la Table Ronde en quête de la coupe du sommeil. C'est une coupe magique qui ne se vide jamais. Elle contient un liquide qui te fera dormir et te permettra de retrouver tes facultés.
Ainsi fut fait. Les meilleurs chevaliers d'Arthur parcoururent tous les royaumes à la recherche de la coupe du sommeil. Ce fut le plus jeune d'entre eux, Galaad qui la trouva. Il faut dire qu'il était le fils du célèbre chevalier Lancelot du Lac et filleul de Perceval. Ce dernier se souvenait avoir déjà vu la coupe gardée par neuf prêtresses dans le château d'un roi pêcheur sur une petite île au bout de la Bretagne armoricaine.
Galaad s'y rendit et retrouva le château, mais un géant en armure en gardait l'entrée. Le jeune chevalier parvint à le vaincre après un dur combat puis il pénétra à l'intérieur de la forteresse. Les neuf prêtresses tentèrent bien de le convaincre de rester avec elles pour toujours, lui promettant une vie éternelle de bonheur, mais il ne céda pas, gardant à l'esprit qu'il était en mission pour le roi Arthur.
Le roi pêcheur, voyant que Galaad voulait absolument la coupe, lui indiqua l'endroit où elle se trouvait : dans les grottes sous son château. Galaad y descendit et vit la coupe du sommeil posée sur un présentoir. Elle était tout en or incrustée de pierres précieuses et étincelait de mille feux.
Le seul problème était qu'elle se trouvait de l'autre côté d'une rivière de lave en fusion et qu'il n'y avait aucun pont pour traverser. Elle n'était pas très large mais suffisamment quand même pour qu'on ne puisse pas l'enjamber.
N'écoutant que son courage, Galaad posa son épée à deux mains en travers de la rivière afin d'en faire un pont. Puis il marcha dessus. Le métal de l'arme était porté au rouge avec la chaleur de la lave, ce qui brûla les pieds de Galaad et lui causa une vive douleur, mais le jeune chevalier tint bon.
Lorsqu'il parvint à la coupe et s'en saisit, la rivière de lave se transforma en une petite rivière d'eau fraîche que Galaad put traverser pour soulager ses pieds brûlés. Il reprit son épée à deux mains et remonta voir le roi pêcheur qui dut reconnaître son courage.
Le voyage de retour de Galaad jusqu'à Camelot, le château du roi Arthur fut une simple formalité.
Arthur loua à son tour les mérites du chevalier avec les dernières forces qui lui restaient. Ce fut donc la reine Guenièvre qui prit les choses en main. Elle fit porter le roi Arthur jusque dans son lit puis lui fit boire à la coupe du sommeil.
Arthur oublia d'un coup tous les soucis de son royaume. Il étendit se jambes sous les draps bien frais de son lit, posa sa tête sur son oreiller moelleux et s'endormit sans l'ombre d'un regret. Il dormit toute une semaine.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
Histoire improvisée.
Il était une fois un gentil monstre marin qui souhaitait se faire des amis parmi les hommes. Le problème c'est qu'il n'aimait sortir que par les soirs d'orage quand la mer était déchaînée, ce qui ne l'aidait pas à établir des relations sociales.
Mettez-vous à la place des marins sur les bateaux en pleine tempête lorsqu'ils voyaient émerger de la mer un monstre. La plupart retournaient au port mais d'autres, paniqués, allaient se fracasser contre les récifs.
Le monstre retournait alors sous la mer, tout penaud des problèmes qu'il avait causés sans le faire exprès.
Un jour, ne supportant plus sa solitude, le monstre marin allait se poster au large de l'ile de Sein pour y attendre les sorcières. Il était en effet de notoriété publique que l'ile était un repaire, surtout parmi les veuves des marins disparus en mer. Elles sortaient les soirs d'orage en navigant dans leur corbeille à linge en osier dont elle se servait comme d'une embarcation.
Le monstre en repère une et s'approche le plus délicatement possible pour ne pas faire chavirer sa frêle esquif. Il se dresse ensuite devant elle et lui explique son problème.
– Tu cherches à te faire des amis ? répondit la sorcière. Rien de plus facile, mais ce ne sera pas gratuit !
– Que veux-tu en échange ? demanda le monstre.
– Un des habitants de l'ile m'a demandé de jeter un sort sur le bateau que tu vois là-bas à l'horizon et que je m'apprêtai à poursuivre. Va le couler pour moi et je t'aiderai.
Le monstre n'aimait pas la tournure que prenaient les événements mais sa solitude commençait à le faire déprimer. Il lui fallait impérativement trouver une solution.
Il rattrapa le bateau, se dressa devant lui et attendit que tout le monde soit sur la mer dans les canots de sauvetage pour le couler d'un coup de queue. Il arracha le mat et vint le rapporter à la sorcière comme preuve de sa part du marché.
Cette dernière convint que c'était désormais à elle de tenir parole. Elle fit des grands gestes en récitant des incantations et le monstre se mit à rapetisser puis à se couvrir de poils pour devenir un chaton roux tout mignon.
Elle le prit dans ses bras, le ramena sur l'ile de Sein, le déposa devant une porte sur laquelle elle frappa avant de s'enfuir.
Un petit garçon passa la tête dans l'embrasure pour voir qui avait toqué et remarque l'adorable chaton roux pelotonné en boule sur le pas de sa porte. Il le prit à son tour dans ses bras et l'amena à ses parents en demandant si il pouvait le garder.
Il y avait beaucoup de rats sur l'ile à cette époque suite au naufrage d'un navire hollandais près de la côte, aussi les parents virent-ils d'un très bon œil l'arrivée du petit félin. Ils lui aménagèrent une corbeille avec une vieille couverture en laine près du feu et l'y posèrent.
Le chaton se lova dans la couverture et, bercé par la douce chaleur des flammes qui le caressait, s'endormit, heureux et convaincu qu'il ne serait plus jamais seul.
Chapitre 15
Conan se réveilla en sueur, un hurlement sur les lèvres. Ses rêves étranges n'avaient jamais été agréables, mais rarement si éprouvants. Le fait qu'il savait à présent que le « pays des ombres » était réel n'arrangeait rien à l'affaire.
Consultant sa montre, l'inspecteur vit qu'il était déjà presque six heures du soir. Il avait dormi bien plus longtemps qu'il ne l'aurait cru ! Si le molosse ne se trompait pas et que les sorcières étaient prêtes à toutes se réunir aussitôt que la lune serait visible, le policier n'avait que peu de temps devant lui !
Sortant en trombe de son bureau, il faillit percuter Thomas, qui tenait quelques papiers dans ses mains.
– Doucement Kerouac ! fit le médecin. Je sais que la journée est bientôt finie mais ce n'est pas une raison pour se précipiter comme ça hors du bureau !
Il fouilla dans les documents qu'il avait apportés.
– J'ai trouvé l'adresse de la boutique de montre qui vend les bijoux composés de l'alliage dont on a parlé et, bien que ce ne soit pas mon travail, je les ai appelés. Ils m'ont dit qu'un client leur avait bel et bien apporté un bracelet cassé hier, cependant ils étaient en train de fermer et n'avaient pas le papier avec son nom sous la main. Ils ont promis de me le communiquer demain. Vu que je ne suis pas vraiment agent de police, je ne pouvais pas tellement insister et...
– C'est très bien tout ça Thomas, fit Conan, mais je n'ai pas le temps. Il faut que je parte, c'est littéralement une question de vie ou de mort ! Si tu as autre chose à me dire, fais-le en m'accompagnant à ma voiture !
Il se mit à marcher, aussi vite qu'il le pouvait sans pour autant trop distancer son ami. Celui-ci le suivit, soudain anxieux.
– Conan, qu'est-ce qui se passe ? Qu'y a-t-il de si urgent ?!
– Notre tueur va frapper ce soir. Un gros coup ! Il va essayer de se débarrasser de toutes ses cibles en une fois !
– Comment est-ce que tu peux le savoir ?
– Ce serait trop long à expliquer, mais je peux te dire que ça a un rapport avec tout ce qui nous est déjà arrivé. Le corps qui disparaît, la trace de sabot enflammé...
Thomas marqua un bref temps d'arrêt, avant de se ressaisir.
– Je viens avec toi.
– Pas question. C'est trop dangereux, même pour moi. Tu n'as pas l'expérience du terrain, tu pourrais y rester !
– Laisse-moi au moins appeler des renforts avant que tu ne partes !
– Pas le temps ! Il faut que j'y aille tout de suite !
Le médecin se planta devant son ami.
– Tu ne sortiras pas d'ici tant que tu ne m'auras pas dit ce qui se passe !
L'idée d'assommer son ami traversa l'esprit de Conan, mais il y renonça. Même cela lui ferait perdre trop de temps.
– D'accord, très bien ! Tu peux venir, et je t'expliquerai tout en route, mais tu ne mets pas un pied hors de la voiture quand on arrive, vu ?
Thomas acquiesça et le suivit alors que l'inspecteur reprenait sa course.
En passant devant la réception, le policier ralentit.
– Marie n'est pas là ? En général elle est plutôt parmi les dernières à partir...
– Je crois l'avoir entendu dire qu'elle avait quelque chose de spécial ce soir. Si tu veux mon avis, c'est un rendez-vous avec Baptiste. Lui aussi est parti plus tôt.
L'inspecteur reprit son allure et le duo parvint finalement au véhicule. Conan grinça des dents en constatant à quel point la soirée était avancée. Il était peut-être déjà trop tard, alors qu'il lui restait la route à faire ! Impatient, il mit à nouveau son ami en garde.
– C'est ta dernière chance Thomas, dit le policier en déverrouillant sa portière. Soit tu embarques avec moi, et tu me promets que tu ne me suivras pas une fois arrivés, soit tu restes ici.
Le légiste avait beau avoir l'air au bord de l'évanouissement, il hocha la tête avec fermeté.
– Je viens.
Conan le laissa monter et démarra en trombe, prenant la route du club de vacances pour ce qu'il espérait être la dernière fois.
Sur le trajet, alors qu'il conduisait à vive allure, le policier raconta à peu près tout ce qu'il savait à son ami, et comment il l'avait appris. Bien que ce dernier sembla d'abord incrédule, il écouta sans rien dire. Finalement, quand l'inspecteur eut terminé, le médecin soupira.
– Honnêtement, si je n'avais pas vu le sabot enflammé de mes yeux, je n'aurais rien cru de ce que tu viens de me dire. Je pense que j'aurais même essayé de te prendre le volant des mains pour t'emmener à l'hôpital psychiatrique.
– Si une fois arrivés il se révèle que je me suis trompé, je m'assommerais moi-même pour te laisser m'y conduire. En attendant...
À cet instant, le portable de Conan sonna. C'était Marlotte.
– Kerouac ? Qu'est-ce que tu fous ?! Tu m'envoies faire tes commissions et tu n'as même pas la politesse de rester après moi au boulot ?!
– Désolé Marlotte, il a fallu que je m'absente en vitesse. C'est une question de vie ou de mort et ne t'en fais pas, ça a un rapport avec notre enquête.
Au ton de sa voix ainsi qu'au manque d'insultes ou jeux de mots douteux de la part de son collègue, l'inspecteur anglais sentit que la situation était grave.
– Conan, qu'est-ce qui se passe ? J'entends que tu es en voiture, où vas-tu ?
– Je ne peux pas tout expliquer maintenant mais si j'ai raison, ça va être moche. Très moche. Envoie tous les renforts disponibles au club de vacances « Le Club des arbres en fleurs », près des monts d'Arrée. Dis-leur de se dépêcher !
– Ok, ok. Juste avant, je t'appelais pour te parler de ce que j'ai trouvé en fouillant chez l'immigration anglaise. Je ne sais toujours pas si tu m'as fait une blague ou s'il s'agit juste d'une coïncidence, toujours est-il qu'en effet, le nom de Collineux me disait quelque chose. Pas qu'un peu ! C'est le nom d'origine de la branche familiale de mon beau-frère ! Quand ils sont arrivés sur le sol britannique, ils l'ont changé pour se faire appeler « Collins ».
La surprise de ce qu'il venait d'apprendre fut telle que Conan faillit percuter un arbre.
– Tu veux dire que...Baptiste, Baptiste Collins, est le descendant des Collineux ?
– Exact. Je n'avais entendu leur ancien nom qu'une ou deux fois, c'est pour ça qu'il me semblait familier sans plus de précision. Étrangement, ils ont toujours eu l'air réticent à parler de leurs ancêtres...
L'inspecteur tourna son regard vers le médecin légiste. Celui-ci semblait ne pas avoir entendu ce que le policier venait de dire.
– Bouge pas Marlotte, je te reprends tout de suite... Thomas, ton gars chez le joaillier, même s'il n'a pas pu te donner le nom du client, est-ce qu'il t'a dit à quoi il ressemblait ?
– Il m'a dit qu'il n'avait rien de particulier. Des yeux un peu fatigués, des cheveux brun coupés court, un visage « un peu flasque » selon ses propres mots, un monsieur-tout-le-monde quoi.
– Pas un monsieur-tout-le-monde...Baptiste ! C'est Baptiste notre tueur !
Le légiste regarda Conan avec des yeux incrédules.
– Baptiste ? Comment pourrait-il tuer quelqu'un ? Tu as bien vu comment il réagissait face à un cadavre !
– Simuler du dégoût, ce n'est pas très compliqué ! Mais tu te souviens de ce que tu m'as dit quand on a découvert le corps de Mélanie Glaudi ?
– Euh...pas vraiment, non. Je pensais plus à ce que j'allais devoir découper en fait...
– Tu m'as dit que vu la manière dont Baptiste se tordait les mains, tu allais sans doute devoir faire tout le travail. Sur le coup, quelque chose m'a interpellé, mais je ne savais pas quoi ! C'était évident ! Baptiste a toujours tripoté sa montre quand il était nerveux ! C'est ce qu'il faisait devant le cadavre au Yeun Elez, et même dans la morgue ! Il ne le faisait pas cette fois là parce qu'il avait cassé son bracelet en tuant Mélanie ! C'est de là que provient le fragment de métal !
– Attends Conan, il l'a peut-être cassé autrement...ça ne prouve rien.
– Et le jour même où on retrouve la victime, quelqu'un correspondant à sa description donne sa montre à réparer. Tu ne trouves pas la coïncidence un peu grosse ? En outre, d'après ce que viens de me dire Marlotte, « Collineux » était l'ancien nom de la famille « Collins », la branche de Baptiste ! Les sorcières l'ont maudit pour ce que ses ancêtres ont fait !
L'inspecteur remit le téléphone à son oreille.
– Marlotte ? Je crois savoir qui est le meurtrier, mais pour l'instant tu vas devoir me faire confiance. Je ne peux pas te dire son nom. Je vais raccrocher mais je te le répète ; appelle des renforts !
– Attends Kerouac What...
Le policier raccrocha, avant de lancer son portable sur la plage arrière pour éloigner la sonnerie indiquant que Marlotte essayait de le rappeler.
– Pourquoi tu ne lui dis pas ? demanda Thomas.
– Déjà, parce que ça risquerait de le perturber et s'il vient sur le terrain, il va falloir qu'il soit au sommet de sa forme. Ensuite, parce qu'il est de la famille de Baptiste. Si j'ai raison, alors je ne peux pas exclure qu'il soit dans le coup.
– Conan, calme-toi. Une montre qui disparaît, un nom de famille, ce n'est pas suffisant. Ce ne sont pas des preuves !
– Séparément, non. Une fois mises ensemble, par contre...En plus, il y a autre chose. Quand les sorcières m'ont attaché sur leur pierre et que la créature les a attaquées, la dernière chose que j'ai sentie a été une odeur. Je ne me souvenais pas de quoi il s'agissait sur le coup, j'ai cru que c'était provoqué par les drogues qu'on m'avait données, un genre d'hallucination olfactive, mais non ! C'était du formol ! Puisque Baptiste passait son temps à la morgue, il devait en être tellement imprégné que la puanteur le collait même une fois changé en bête !
Le médecin semblait bien plus hésitant à présent.
– Bon...admettons, ça n'explique pas comment il aurait su qui attaquer, ni quand et où !
La mine de Conan se fit plus sombre. Ses mains se crispèrent sur le volant au point que ses articulations blanchirent.
– Pour ça aussi, je crois que j'ai trouvé...Mais j'espère vraiment me tromper...
Thomas eut envie d'insister, toutefois il vit dans les yeux de son ami que ce n'était pas le moment.
Quand ils arrivèrent face aux grilles du club de vacances, le policier constata qu'il y avait bien plus de voitures garées que durant la semaine où il avait séjourné dans l'établissement, alors même que ce dernier était censé être rempli à ce moment-là. En outre, malgré l'heure tardive, le portail était ouvert. Les véhicules appartenaient sans aucun doute aux sorcières. Apparemment, le molosse ne s'était pas trompé....
Conan se tourna vers son ami.
– Écoute, je vais avoir besoin de ton aide. Il faut que je me rende dans la forêt, mais je n'ai aucune idée de comment les choses vont tourner. Avec le nombre de clients qu'il y a ici, si jamais Baptiste m'échappe ou s'il me tue, il aura le champ libre pour faire un carnage. Pendant que je m'occupe de lui, toi, va de mobile-home en mobile-home, déclenche une alarme à incendie, hurle à t'en faire éclater les poumons, bref fais-ce que tu veux pour faire sortir les vacanciers et les évacuer. Donc oublie ce que j'ai dit et sort de la voiture mais surtout, ne t'approche pas de la forêt !
Le légiste fit signe qu'il avait compris. Avant de partir cependant, il se tourna vers l'inspecteur.
– Sois prudent surtout. Et s'il y a possibilité, fais-en sorte que Baptiste s'en sorte, s'il-te-plaît.
Le policier ne répondit pas. Il n'avait aucune idée de l'état dans lequel il allait trouver le jeune homme, pourtant il était presque sûr que toute cette affaire finirait mal.
Vérifiant que son arme était bien chargée, Conan courut en direction des bois du club.
Le policier avait d'abord craint de se perdre sous le couvert obscur des arbres. La première fois qu'il était venu ici, ce n'était pas de son chef et il avait été inconscient tout au long du trajet. La deuxième, il n'avait même pas été capable de trouver la clairière où les sorcières s'étaient rassemblées. Il n'avait donc pas de réel moyen de retrouver la pierre sacrificielle.
Toutefois, la chance était de son côté cette nuit. Les nuages étaient épars, et suffisamment de rayons de lune passaient au travers des épaisses frondaisons pour éclairer le sentier serpentant dans les ténèbres. Les sorcières à l'avoir emprunté étaient si nombreuses que leurs traces étaient encore visibles. Dans leur précipitation, elles n'avaient pas pensé à couvrir correctement leur piste cette fois. Bien qu'elle suivait parfois la route, il arrivait qu'elle bifurque brutalement pour passer par des taillis et des buissons, peut-être dans l'espoir de rester discrète, au moins un peu.
Au bout de quelques minutes, Conan dut s'arrêter pour reprendre son souffle. Il y avait longtemps qu'il n'avait plus couru ainsi, à l'exception de sa traque par les chiens du drogué. Deux telles pointes d'effort en moins d'un mois... Ça, plus la consommation régulière d'alcools et de médicaments, faisaient que le policier n'était pas au mieux de sa forme.
Il profita d'être arrêté pour jeter un regard autour de lui. Les bois étaient toujours menaçants comme au premier jour où il les avait observés. Les branches se tordaient dans tous les sens, ployant sous le poids des feuilles qu'elles supportaient, donnant l'impression de bras décharnés susceptibles de se rompre à chaque instant dans un craquement sinistre. Le sol était couvert de boue et de végétaux en décomposition, formant une mélasse noirâtre et baveuse qui semblait vouloir absorber en elle le voyageur imprudent, l'emmenant dans un enfer de ténèbres glaciales si épais qu'il en étoufferait jusqu'aux hurlements de détresse de sa victime.
La lumière pâle de la lune, si elle permettait de suivre la piste avec un tant soit peu de précision, nimbait également tout ce tableau macabre d'une lueur froide rappelant le givre, ajoutant à la scène une aura glaciale de désespoir morne et résigné.
Conan sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il n'arrivait pas à se départir de l'idée qu'il y avait quelque chose de véritablement vivant dans ces bois, quelque chose qui ne souhaitait pas être dérangé...
Rassemblant son courage, le policier se remit en route. Après encore quelques minutes il vit danser, loin devant lui, une lueur tremblante se détachant de la noirceur environnante. Il devait s'agir du feu allumé par les sorcières pour leur rituel ! Une chose cependant, à mesure qu'il approchait le plus silencieusement possible, commençait à effrayer l'inspecteur ; il n'entendait rien. Soit il arrivait en avance, ce dont il doutait, soit il était trop tard.
En débouchant finalement dans la clairière, l'arme au clair, Conan fut saisi d'un tel effroi qu'il ne put se retenir et se mit à vomir de manière incontrôlable.
L'herbe était tant tapissée de viscères et de sang que des volutes de vapeur, créées par la rencontre brutale entre la chaleur des entrailles et le froid de la nuit, tourbillonnaient lentement sous l'effet du vent, assez nombreuses pour former comme un brouillard. Le sang coulait si abondamment qu'il en noyait la terre, se mélangeant avec les végétaux ainsi que la surface du sol pour former un magma immonde d'une couleur écarlate maladive. Partout où les yeux de Conan se posaient, il voyait un corps déchiqueté, démembré, des têtes détachées de leurs cous et aux yeux arrachés, leurs orbites noires des fenêtres sur des abîmes de souffrance sans fin, leur bouche ouverte sur un cri éternellement muet au sein duquel se mêlaient l'horreur et la douleur.
Le pire pourtant restait la puanteur. Conan n'avait jamais rien senti de pareil, même durant ses années à l'armée. Les remugles étaient si forts qu'ils semblaient avoir une consistance propre, alourdissant l'air avec les odeurs de corps massacrés.
La plus horrible des visions au milieu de ce chaos sanglant restait pourtant à venir ; au centre de la clairière, sur la pierre servant aux sacrifices, trônait un amalgame grotesque de fragments de carcasses sanguinolents, jetés au hasard sur le piédestal jusqu'à former un monticule haut de plus de deux mètres, suintant et coulant sur le sol. Il y avait des mains, des jambes, des scalps, ainsi que d'autres choses si atroces que l'inspecteur ne pouvait en supporter la vue.
Incapable d'encaisser un tel spectacle, il détourna les yeux, les gardant ostensiblement baissés, avec l'espoir que quand il les relèverait ce tableau infernal aurait disparu.
À l'horreur de cette vision de cauchemar s'ajoutait également, dans le cœur du policier, celle d'une certitude terrible ; il n'y avait aucune chance pour que la créature ayant commis cet acte ait encore quoi que ce soit d'humain. La bête avait pris le contrôle plein et entier de Baptiste, ce qui signifiait que le policier n'aurait d'autre choix que de le tuer. Toutefois, avec ce qui s'offrait à sa vision, il doutait d'en être seulement capable...
Histoire improvisée.
Il était une fois une petite princesse qui s'appelait Zéline. Elle était adorable mais un peu dissipée, aussi un jour qu'elle avait décidé de suivre un papillon, elle s'était éloignée de sa gouvernante et enfoncée dans la forêt proche de son château jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle était perdue.
Il commença à pleuvoir comme il pleut en Cornouaille donc une grosse pluie bien riche et gonflée de l'océan tout proche. Zéline chercha où s'abriter et finit par trouver refuge dans une vieille cabane qui se trouvait là. Manque de chance, une brusque rafale fit s'écrouler le toit et revoilà notre petite princesse à la merci des éléments.
Désemparée, elle ne put retenir de grosses larmes qui coulèrent sur ses joues en se mélangeant à l'eau de pluie.
C'est à cet instant précis qu'elle sentit quelque chose tomber sur son épaule. Elle regarda et vit qu'il s'agissait d'un gros escargot qui sortit de sa coquille et pointa ses deux yeux vers elle.
– Que t'arrive-t-il ? lui demanda-t-il.
La princesse ne fut pas étonnée d'entendre l'escargot lui parler car en Cornouaille les animaux parlent. Le plus souvent ils le font pendant la nuit de Noël mais il peut aussi leur arriver de vous adresser la parole s'ils jugent qu'ils peuvent vous aider alors que vous êtes dans une situation fâcheuse, ce qui était le cas ici.
– Je me suis perdue, sanglota Zéline et je suis trempée par la pluie.
– Mais tu n'es pas comme nous, toi. La pluie va t'enrhumer ! Viens donc dans ma coquille te mettre à l'abri.
– Dans ta coquille ? Mais je ne pourrai jamais y rentrer !
– Bien sûr que si ! Pose moi dans ta main.
Zéline s'exécuta et la voilà qui rapetisse à toute vitesse pour bientôt être de la même taille que l'escargot.
Le gastéropode rentre dans sa coquille suivie par Zéline.
Quelle ne fut pas la surprise de la petite princesse quand elle put constater que l'intérieur de la coquille était immense. Il y avait un salon avec des fauteuils moelleux, une cuisine avec un four et une cuisinière, une salle de bain avec une douche, des radiateurs...bref ! Tout le confort !
L'escargot proposa à Zéline de s'asseoir dans le fauteuil près du radiateur pour se sécher et lui ramena une cruche de chocolat chaud.
Il alluma ensuite la télé car oui, il y avait aussi une télé. Zéline regarda des dessins animés mais les émissions des escargots étaient faites pour les escargots et duraient terriblement longtemps. Si longtemps que Zéline finit par s'ennuyer et bailla ce qui vexa son hôte.
– Je n'entends plus la pluie sur ma coquille et te voilà sèche. Tu vas pouvoir repartir.
– Déjà ? Mais si je ressors maintenant je serais toujours perdue, gémit Zéline.
– Dans ce cas, je te conseille de suivre l'arc-en-ciel qui va se former car le soleil est reparu. Trouves en le pied et quand tu seras baignée de couleurs, appelle la licorne pour qu'elle te ramène chez toi ! Bien le bonjour !
– Une licorne ? Tu es sûr ?
– Mais oui ! Les licornes ne volent pas. Par contre elles galopent sur les arcs en ciel. Chaque arc-en-ciel est habitée par l'une d'entre elles.
Zéline comprit qu'il était temps de partir et qu'elle devait se dépêcher si elle voulait trouver le pied de l'arc-en-ciel avant la nuit.
Elle remercia l'escargot et sortit de la coquille. Aussitôt elle reprit sa taille normale et courut vers le pied de l'arc-en-ciel qu'elle apercevait par dessus les arbres.
Elle parvint dans une petite clairière et fut baignée de couleurs au pied de l'arc-en-ciel. Elle appela la licorne de toutes ses forces.
Cette dernière ne tarda pas et descendit à sa rencontre depuis son pont multicolore.
C'était une superbe créature avec un corps de cheval tout blanc et une corne en or massif au milieu du front. Chacun de ses pas soulevait de la poussière d'or sur l'arc-en-ciel.
– Que puis-je faire pour toi petite fille ? demanda l'animal.
– Je suis la princesse Zéline et je me suis perdue. Penses-tu pouvoir me ramener jusqu'à mon château ?
– Mais bien sûr, tu n'as qu'à grimper sur mon dos !
La créature fabuleuse s'abaissa pour lui faciliter la tâche et voilà notre petite princesse à cheval sur la licorne en train de galoper aussi vite que le vent sur l'arc-en-ciel.
Elle chevaucha jusque dans la cour de son château où tout le monde fut soulagé de la revoir.
Tant que le cadavre n’a pas quitté la maison mortuaire, il ne faut ni balayer le parquet, ni épousseter les meubles, ni jeter dehors aucune poussière ou balayure, de crainte d’expulser aussi l’âme du mort et d’attirer sur soi ses vengeances.
En revanche, il faut avoir soin de vider ou tout au moins de couvrir tout vase contenant un liquide (le lait excepté), afin que l’âme ne risque pas de s’y noyer.
Il était une fois un jeune homme de Cornouaille qui s'appelait Alan. C'était un jeune homme bien gentil et qui n'avait qu'un seul défaut mais pas des moindres, il était joueur et parieur.
Son père, capitaine de marine marchande sur le point de s'embarquer, lui fit mille recommandations pour ne pas dépenser inutilement l'argent de la maison durant son absence car il le connaissait bien. Alan promit de faire attention et, au début, il tint parole.
Mais un jour qu'il se rendait à la foire de Quimper pour y acheter une jument, il rencontra un homme bizarre assis sur le bord du chemin qui lui proposa de jouer aux cartes avec lui. Alan se rappela les paroles de son père et refusa dans un premier temps. L'inconnu lui promit qu'ils ne joueraient que des petites sommes et le jeune homme finit par céder.
Sans y prendre garde et pris par la passion du jeu, Alan joua des mises de plus en plus grosses et avant qu'il ne réalise ce qui lui arrivait, il avait perdu toute la fortune de son père.
– Tu es désormais mon obligé, lui dit l'inconnu. Je ne te demanderai pas ton argent mais quand ton père reviendra, tu lui annonceras que tu me dois un an et un jour de ta vie puis tu viendras me rejoindre en haut du Menez-Hom.
Ainsi fut fait. Alan retrouva l'inconnu en haut du Menez-Hom puis le suivit sous la terre dans son château.
– Tu peux aller et venir à ta guise dans ma demeure lui dit-il. Tu seras en charge de ma jument blanche qui se trouve à l'écurie. Je veux que chaque fois que tu lui donnes à manger, tu lui donnes autant de coups de bâton que de poignées d'avoine.
Le jeune homme trouva la coutume bien étrange mais ne répondit rien.
Le lendemain, lorsqu'il donna de l'avoine à la jument blanche, il la roua de coups comme demandé.
– Pas si fort, lui dit l'animal d'une voix plaintive.
– Par ma foi ! dit Alan, voilà une jument qui parle !
– Je ne suis pas une jument, je suis la princesse de Cornouaille que ton sorcier de maître a envoûté, regarde mes pieds.
Effectivement, à la place des sabots auxquels Alan aurait pu s'attendre, la jument avait des mains et des pieds au bout de ses pattes.
– Votre Altesse ! s'exclama Alan. N'y a t-il rien que je ne puisse faire pour vous soulager ?
– Exécute le temps que tu as promis et, le dernier jour, nous nous enfuirons. Tu as un an pour trouver la fleur d'or que le magicien cache dans le jardin de son château. Le parfum de cette fleur endort immédiatement quiconque le respire. Tu en feras une tisane que tu donneras à boire au sorcier en guise de pot de départ. Il s'endormira pour une semaine, ce qui nous laissera le temps de retourner au château de mon père où il ne pourra plus rien contre nous et nous nous marierons. D'ici là, fais ce qu'il te dit mais ne me frappe pas trop durement.
Le jeune homme s'exécuta. Il mit quelques mois à trouver la fleur d'or car elle avait poussé à l'intérieur d'un buisson de ronces. Quand il y parvint, il confectionna une tisane à laquelle il rajouta un peu de miel puis la proposa au sorcier le dernier jour de son temps.
Celui-ci accepta d'en boire à condition qu'Alan en boive aussi. Ce qu'il fit en simulant. Quand le sorcier eut bu toute la tisane, il ressentit une grande fatigue et une irrépressible envie d'aller s'allonger juste un instant.
Le jeune homme se proposa de l'accompagner jusqu'à sa chambre. Le sorcier accepta mais ne voulut pas s'étendre sur son lit. Un simple fauteuil suffirait pour la petite sieste qu'il s'apprêtait à faire.
Alors Alan tapota sur l'oreiller du lit pour lui redonner du gonflant, puis il fit remarquer à quel point le matelas du sorcier sentait bon le frais, combien ses draps étaient doux et sa couverture chaude. Il annonça tout de go qu'un tel lit ne devait pas rester inoccupé et que si le sorcier ne voulait pas s'y allonger, lui, Alan, allait le faire pour en profiter.
Vexé, le sorcier lui répliqua que ce lit était le sien et que s'il en voulait un il n'aurait qu'à se le construire en retournant chez lui puisque son temps était fini. Et là-dessus, pour bien marquer sa propriété, le sorcier s'allongea dans son lit. Il avait à peine étendu ses jambes qu'il dormait déjà.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
Chapitre 14
Cela faisait déjà trois heures que Conan était à son bureau, essayant vainement d'avancer sur le rapport comme Marlotte l'avait suggéré, sauf que rien ne lui venait. Il tournait et retournait la situation dans tous les sens, sans savoir comment présenter les choses d'une manière qui ne soulèverait pas de questions. Excédé, il sortit dans le couloir pour prendre un café qu'il comptait assaisonner à sa façon. Le temps que la machine prépare sa boisson, l'inspecteur réfléchit et put enfin mettre le doigt sur ce qui le dérangeait.
Il était anxieux. Anxieux, à cause de ce que la scène de crime qu'il avait trouvée supposait. Autant, dans le premier meurtre, malgré la violence et le sadisme évidents, on pouvait discerner un semblant de raison, d'esprit humain contrôlant les actions du tueur. Avec la pauvre Mélanie, il était clair que le meurtrier était bien plus proche de la bête que d'autre chose. À ce stade, la seule pensée humaine qu'il devait encore entretenir était sans doute son envie de vengeance envers les sorcières.
Ça n'arrangeait pas les affaires de l'inspecteur. Il avait déjà énormément de mal à traquer son assassin, si en plus maintenant il devenait complètement erratique et irrationnel... Il était susceptible de faire plus d'erreurs, certes, mais aussi de massacrer sur une période de temps bien plus réduite. Si Conan ne l'arrêtait pas dans les jours à venir, le bain de sang qui s'ensuivrait serait...
Le policier secoua la tête, refusant de penser à ce qu'impliquerait un échec de sa part. Sa boisson finalement dans les mains, il retourna à son bureau et, décidant d'abandonner le rapport pour le moment, fit l'inventaire de tout ce qu'il savait sur l'affaire.
Les deux victimes ( ainsi que Brigitte William, dont le corps n'avait jamais été retrouvé ) avaient été ciblées en raison de leur appartenance à une congrégation de sorcières ayant maudit le meurtrier, le transformant en bête enragée pour se venger de ce qui avait été infligé à leurs aïeules, par les ancêtres de ce même meurtrier. Le mobile était donc la vengeance, l'arme du crime le corps de la chose. Manquait seulement le plus important, l'identité du coupable.
Conan avait demandé à Marie, dès qu'il en avait eu l'occasion, de faire des recherches sur tous les Collineux de la région, afin de savoir ce qu'ils étaient devenus. Il attendait toujours qu'elle transmette de nouvelles informations. S'il en croyait le molosse noir, ses descendants avaient quitté le pays, ce qui allait paradoxalement faciliter le travail d'investigation. Il fallait trouver une famille dont la lignée semblait brutalement s'arrêter en France, sans qu'il y ait trace d'un décès.
Il restait toujours l'option de s'en remettre au chien et à ce qu'il pourrait trouver en parlant aux anaons, toutefois il avait dit lui-même que cela prendrait plusieurs jours au minimum pour découvrir quoi que ce soit. C'était un temps que Conan ne pouvait pas se permettre de perdre...
L'inspecteur devait se rendre à l'évidence, il était pour l'instant dans l'impasse. Il y avait bien une dernière solution, faire organiser aux sorcières une cérémonie pour qu'elles servent d'appât et que la bête puisse être interceptée, sauf que cela présentait tellement d'inconvénients que c'en était irréalisable. Il faudrait convaincre les sorcières, parler aux autres policiers de ce qu'elles faisaient quitte à passer pour un fou...En outre, après la découverte du cadavre de Mélanie, Conan commençait à douter d'être seulement capable d'arrêter le monstre. S'il pouvait réduire en lambeaux un humain adulte, il pouvait aussi venir à bout de policiers, même armés.
La sonnerie du téléphone tira le policier de ses inquiétudes. Au bout du fil se trouvait Marie.
– Grognard ? J'ai peut-être trouvé quelque chose. Ça n'a pas été facile, mais une bibliothécaire a pu me donner accès à des documents d'archive numérisés récemment. Tu veux que je t'envoie le tout ?
– Vas-y, on verra ce que ça donne. Merci gamine.
L'inspecteur consulta le mail qu'il venait de recevoir. Il s'agissait d'un registre d'état civil ainsi que quelques articles de journaux datant du début du dix-neuvième siècle. Le papier officiel indiquait que le dernier membre d'une famille Collineux des environs était né en 1803, après ça la branche disparaissait totalement de l'état civil français.
Les articles, eux, n'avaient à première vue rien d'intéressant à part leur valeur historique, à tel point que Conan se demanda si Marie ne s'était pas trompée en les joignant. En les survolant cependant, un nom attira son attention : Collineux. Intrigué, il les observa plus attentivement.
Les coupures décrivaient par le menu comment un groupe de plusieurs familles des environs s'était, en 1820, rendu au port de Brest pour embarquer sur un navire afin d'émigrer. Comme le concept était encore assez étranger en France à l'époque, en particulier alors qu'il se produisait dans une zone aussi mystérieuse que la Bretagne, quelques journalistes avaient saisi l'opportunité d'écrire une histoire qui intriguerait dans les chaumières. En outre, après les campagnes napoléoniennes, l'idée de français se rendant volontairement en Angleterre paraissait assez...incongrue.
L'article en lui-même n'avait rien de vraiment passionnant. Il se contentait de décrire les vies en France des futurs émigrés en quelques lignes chacune, à l'exception d'une famille. Les Collineux avaient en effet le droit à plus de texte, le journaliste décrivant précisément la raison les poussant à partir :
La famille Collineux semble être de ces bonnes familles d'obédience chrétienne à qui chacun serait tenté de faire confiance, hormis évidemment ceux leur voulant désormais du tort et les poussant à l'exil. Le patriarche me confirmait il y a quelques minutes encore seulement que sa lignée était depuis environ deux siècles la cible de quatre autres familles qu'il a refusé de nommer pour, selon ses propres dires, « éviter de leur donner une raison supplémentaire de nous en vouloir ».
L'homme lui même ne se souvenait plus dans les détails de la querelle à l'origine de cette mésentente, cependant il m'assura se rappeler qu'il s'agissait d'une affaire de sorcellerie qui avait mené les ancêtres des familles vindicatives au bûcher. D'après lui, des archives répertoriant ce cas sont encore trouvables chez un certain le Nobletz, à qui je rendrais peut-être une visite si les lecteurs sont intéressés.
Le père Collineux était assez réticent à l'idée d'évoquer plus en profondeur le voyage prochain de sa famille vers l'Angleterre, vers le port de Liverpool pour être plus exact, bien que son attente du départ était palpable. Il termina même notre entretien en me confiant qu'il avait d'ores et déjà trouvé quel nouveau nom sa lignée allait porter dans leur nouveau pays. Il refusa de me le révéler, pour se dispenser d'être poursuivi par les personnes lui en voulant, cependant il m'affirma qu'il s'agissait « d'un patronyme proche du nôtre mais qui sonnerait anglais ». Un grand mystère donc, s'ajoutant à une liste déjà longue en ce qui concerne la famille Collineux.
Cela expliquait pourquoi il était si ardu de retrouver la trace de cette famille. Conan était partagé. D'un côté, la moindre information sur la famille dont faisait partie son meurtrier lui était utile. D'un autre, une piste qui se dispersait sur plusieurs pays était très difficile à remonter, à plus forte raison quand elle s'étendait sur presque deux siècles. Cela ne laissait qu'une possibilité à l'inspecteur, qui ne lui plaisait pas du tout : il allait devoir demander de l'aide à Marlotte.
Se rendant dans le bureau de son collègue anglais, le policier afficha son sourire le plus convaincant afin d'au moins faire semblant d'être aimable. Quand il entra, Marlotte le dévisagea.
– Ce fake-ass smile m'indique que tu vas me demander quelque chose. Qu'est-ce que tu veux Kerouac ?
Conan jura mentalement. Il détestait qu'on lui coupe l'herbe sous le pied, encore plus si c'était cette saloperie de rosbif qui s'en chargeait.
– J'ai besoin de toi. Enfin, d'une information que tu seras sans doute le seul à pouvoir me procurer.
– À quel sujet ?
– Notre meurtre du Yeun Elez, et celui de la victime de ce matin. J'ai de bonnes raisons de penser que notre tueur est en lien avec l'Angleterre.
– Et qu'est-ce qui te fais dire ça à part ton dégoût des anglais ?
Conan ricana.
– Je suis navré que cela se voit tant que ça, pourtant je fais de mon mieux pour le cacher.
Il reprit son sérieux, se rappelant qu'il s'adressait au seul homme capable de le faire progresser à ce stade.
– Il faudrait que tu consultes les registres de l'immigration de l'année 1820 du port de Liverpool. Que tu trouves une certaine famille « Collineux », qui à changé de nom à son arrivée, et que tu vois ce que tu peux trouver sur leurs descendants.
Marlotte se fit songeur.
– « Collineux » tu dis ? J'ai déjà entendu ça, mais pas moyen de me rappeler où...peut-être que ça me reviendra en cherchant.
– Ça veut dire que tu acceptes ?
– Pas pour tes beaux yeux de poivrot, rassure-toi. En revanche, si comme tu le suggères cela nous permet de nous rapprocher de notre meurtrier, je serais idiot de ne pas le faire.
Conan eut envie de placer un bon mot quant à cette dernière assertion, toutefois il se retint au dernier moment. Se moquer de son collègue alors qu'il acceptait de l'aider ne semblait pas des plus judicieux.
– Merci Marlotte. Je te revaudrai ça.
– Le fait d'arrêter ce malade me suffira.
Quand Conan retourna dans son bureau, il fut accueilli par la sonnerie du téléphone. C'était Thomas.
– Kerouac ? J'ai analysé le morceau de métal que tu as trouvé ce matin.
– Alors ? Une empreinte ? De l'ADN ? N'importe quoi d'intéressant ?
– Rien. Le fragment est trop petit et trop endommagé. En revanche, je sais de quoi il s'agit maintenant. La forme d'une des extrémités prouve que cela fait partie d'un ensemble plus grand, et la structure indique qu'il ne s'agit pas d'un bijou précieux, type pendentif ou collier. Je pense plutôt qu'il s'agit d'une montre.
– J'imagine qu'on n'a pas la chance d'être tombé sur un fragment portant le numéro de série ?
– Tu imagines bien, mais on a peut-être mieux. De ce que j'ai pu voir, l'alliage composant le métal est assez spécial. Il ne doit pas être vendu dans beaucoup de boutiques des environs.
– Ça vaut le coup d'essayer. Envoie moi la composition précise, je verrai ce que je peux trouver.
Thomas raccrocha. L'inspecteur se rassit dans son fauteuil, pensif. Quelque part dans son cerveau, une alarme retentissait. Il sentait qu'un élément important se trouvait juste sous son nez, pourtant rien ne lui venait spontanément. C'était rageant.
En outre, malgré tout ce qu'il avait déjà appris, un détail continuait de chiffonner Conan. Comment le meurtrier avait-il su qui frapper et quand ? Les sorcières ne s'étaient sans doute pas vantées sur les toits de Quimper d'avoir maudit quelqu'un pour se venger, pourtant les meurtres n'avaient jamais eu l'air d'être faits au hasard. Le tueur avait toujours supprimé des femmes ayant directement participé à son état.
D'autre part, comment avait-il su que les sorcières tenaient conciliabule, le soir où il avait attaqué et tué trois d'entre-elles dont Brigitte William ?
Il n'y avait qu'une seule réponse possible, quelqu'un parmi les sorcières aidait le meurtrier. Elle l'avait informé de qui l'avait ensorcelé, puis lui avait indiqué quand frapper. Mais qui ? Monica ? Elle avait dit à Conan qu'elle ne savait pas qui avait été la cible du sortilège. Si elle disait la vérité, ça ne pouvait pas être elle. Toutefois, elle était prête à tuer et à trahir pour s'accaparer plus de pouvoir, alors mentir ne serait sans doute rien pour elle.
Sauf que Conan ne la voyait pas prendre un tel risque. Elle savait que la chose devenait de plus en plus incontrôlable, donc que plus le temps passait, plus elle risquait de passer du statut d'alliée à celui de victime supplémentaire. Non, celle qui aidait la bête était désespérée, prête à prendre un tel risque en dépit du bon sens. Il était probable qu'elle avait monnayé sa vie en échange de celles de ses sœurs.
Or, bien des adjectifs pouvaient être accolés à la sorcière rousse, mais certainement pas « désespérée ».
Conan allait devoir à nouveau se concentrer sur les employées du club de vacances, essayer d'en trouver une qui était moins à l'aise que les autres, plus distante, sans doute une des membres les plus récentes.
L'inspecteur regarda distraitement sa montre. La fin de la journée approchait doucement, il n'aurait pas le temps d'aller enquêter au club aujourd'hui. Il valait mieux qu'il rentre chez lui. Avec un peu de chance, Marlotte ou Thomas trouverait quelque chose d'intéressant à lui communiquer.
L'inspecteur sortit, salua Marie et prit la route de chez lui. Quand il y arriva, sans savoir pourquoi, il sentit une terrible fatigue s'abattre sur lui. Les yeux déjà à moitié fermés, il s'écroula sur son canapé, sombrant dans un profond sommeil.
Conan était de retour dans le lieu de ses cauchemars, cet endroit étrange rempli d'ombres bougeant sans cesse, comme si elles cherchaient à se dérober à son regard. Se rappelant ce qu'il avait fait la dernière fois, le policier commença à marcher droit devant lui, espérant bientôt tomber sur la raison de sa présence ici.
Ce n'est qu'au bout de ce qui lui sembla être plusieurs minutes qu'il sentit une présence qui approchait. Contrairement à la fois précédente cependant, la chose ne se trouvait pas dans son dos mais face à lui. Avec une légère appréhension, il attendit de voir ce que les ténèbres allaient lui dévoiler. Après quelques secondes apparut devant lui, à sa grande surprise, le molosse noir du Yeun Elez.
– Vous ? fit le policier. Qu'est-ce que vous faites ici ? Et maintenant que j'y pense, c'est quoi « ici » ?
– Bonjour inspecteur. Pour répondre à votre deuxième question, vous êtes ici dans une sorte d'entre-deux. Pas encore le monde des morts, mais plus tout à fait celui des vivants non plus. C'est à cause de votre accident que vous pouvez visiter cet endroit, bien que le fait que je vous y emmène facilite les choses.
– Pourquoi voulez-vous me voir ? Vous avez trouvé quelque chose d'intéressant ?
– Je n'ai malheureusement pu entrer en contact avec aucun des membres de ma famille. Quelque part, cela devrait me rassurer, cela signifie qu'ils ont tous quitté ce monde sans regrets, que leurs âmes sont en paix.
– J'en suis ravi, sauf que ça ne me dit toujours pas pourquoi vous m'avez appelé ici ni ce que vous avez à me dire si ça ne concerne pas vos descendants.
– Je vous ai amené ici car je devais vous parler rapidement. Nous n'avons plus le loisir d'attendre la nuit pour nous rencontrer.
– Pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt si vous en êtes capable ?
– Pour une créature qui n'est pas morte, cela consomme beaucoup d'énergie. À plus forte raison avec une âme de démon partageant son corps. Je ne dois faire ça qu'en cas d'urgence.
– Admettons. Qu'est-ce que vous aviez à me dire ?
– Comme je l'ai mentionné, les âmes de personnes mortes en paix sont introuvables dans l'entre-deux où nous sommes. C'est pourquoi j'ai été interloqué de voir autant de nouvelles âmes. Beaucoup de personnes sont mortes en très peu de temps, et de manière violente. La plupart arboraient des symboles gravés à même leur chair.
– Vous voulez dire que les sorcières ont recommencé leurs réunions nocturnes ? Que ces gens étaient des sacrifiés ?
– En effet. Un seul d'entre-eux était encore suffisamment lucide pour que je puisse converser avec lui. Il m'a appris que la congrégation était réellement aux abois après avoir perdu leur membre servant de « réceptacle », comme elles l'appelaient. Elles font tout ce qu'elles peuvent pour trouver une solution, pour contrer la bête qu'elles ont lâchée sur le monde, cependant il semble qu'elles n'y parviennent pas. Elles paniquent de plus en plus, ce qui les pousse à accélérer le rythme de leurs sacrifices. Elles sont à plus de sept victimes par cérémonie à présent. D'après leur accent, sans doute des étrangers.
Cela expliquait pourquoi leur disparition n'était pas signalée.
– Vous a-t-il dit si la congrégation avait été attaquée par la créature ?
– Il n'a pu me parler que de ce qu'il avait vu avant sa mort. Toutefois, je n'ai pas trouvé de nouvelles âmes de sorcières, à part celle d'une certaine Mélanie.
– Je sais qui elle est. On l'a retrouvée massacrée chez elle. Donc il n'a pas attaqué les réunions jusqu'à maintenant. Pourquoi ?
– J'ai peut-être une idée là-dessus. Les sorcières que vous avez vues ont-elles une affinité particulière avec la Lune ?
Conan réfléchit, creusant dans des souvenirs désagréables.
– Je ne crois...si ! Leur masque était composé de trois visages, chacun lié à une des phases lunaires !
– Des adoratrices d'Hécate...Le démon avait donc vu juste...
– En parlant de lui, pourquoi le Diable est-il venu chercher le corps d'une de ces sorcières, si ce n'est même pas en son nom qu'elles font ce qu'elles font ?
– Le Diable se moque qu'on agisse en son nom ou pas. Il règne sur tout ce qui est mauvais, vicié, pervers. Les intentions ne l'intéressent pas, il est toujours celui qui finit par gagner quand le mal est fait.
– Bon. Et en quoi le fait que les tarées vénèrent la Lune plutôt qu'autre chose est important ?
– Parce que cela explique pourquoi le monstre ne les a pas encore attaquées. Il attendait.
– Qu'est-ce qu'il attendait ?
– Une réunion de la congrégation en particulier. Malgré l'abondance de sacrifices dans les dernières cérémonies, il est possible que celles-ci ne réunissaient pas l'intégralité des membres. Ce ne sera pas le cas de la suivante...
– Vous pensez qu'il va frapper une dernière fois ? Pour essayer de toutes les tuer d'un coup ?
– C'est ce que je crois oui. Vous m'avez bien dit que la bête prenait peu à peu le pas sur l'homme, n'est-ce pas ?
– En effet. Vous auriez vu la dernière scène de crime, le cadavre avait été littéralement déchiqueté.
– Alors il est possible que la métamorphose soit presque complète. Il a formé son dernier plan, avant de ne plus être capable de penser. Il sait que s'il échoue à toutes les tuer cette fois, il ne sera plus suffisamment en capacité de réfléchir pour garder à l'esprit une idée aussi humaine que la vengeance.
– En bref, c'est sa dernière chance de frapper, mais également ma dernière occasion de l'attraper avant qu'il ne se mette à tuer à l'aveuglette.
Quelque chose frappa alors le commissaire.
– Vous avez dit que la prochaine réunion verrait sans doute toutes les sorcières en même temps. Pourquoi ?
– Parce qu'elle aura lieu lors d'une lune cendreuse, un moment extrêmement important pour les adeptes d'Hécate, qui est liée à l'astre. La dernière vision qu'on en a avant qu'elle ne soit entière ou totalement invisible.
– Très bien, fit l'inspecteur. Donc il me reste juste à savoir quand aura lieu la prochaine « lune cendreuse ». Vous n'en auriez pas une idée par hasard ?
– Malheureusement si, maître Kerouac. La prochaine lune de cendre est ce soir même.
Les noyés, dont le corps n’a pas été retrouvé et enseveli en terre sacrée, errent éternellement le long des côtes.
Il n’est pas rare qu’on les entende crier, dans la nuit, lugubrement :
— Iou ! Iou !
On dit alors, dans le pays de Cornouailles :
— E-man-Iannic-ann-aôd o iouall ! (Voilà Iannic ann-aôd, — Petit-Jean de la grève, — qui hurle !)
Tous ces noyés hurleurs sont instinctivement appelés Iannic-ann-aôd.
Iannic-ann-aôd n’est pas méchant, pourvu qu’on ne s’amuse pas à lui renvoyer sa plainte sinistre. Mais, malheur à l’imprudent qui se risque à ce jeu !
Si vous répondez une première fois, Iannic-ann-aôd franchit d’un bond la moitié de la distance qui le sépare de vous ; si vous répondez une deuxième fois, il franchit la moitié de cette moitié ; si vous répondez une troisième fois, il vous rompt le cou.
Un domestique de ferme revenait de conduire les bêtes aux champs, un soir d’été, dans le temps où l’on commence à leur faire passer les nuits dehors.Comme il cheminait par un sentier de grève, il entendit sonner sur les galets les sabots de Iannic-ann-aôd. Le domestique était un luron. Il savait toutes les histoires qui se débitent, aux veillées d’hiver, sur le compte de Iannic-ann-aôd, et il s’était promis de les vérifier à la première occasion.
— Ma foi, se dit-il, je vais en avoir le cœur net.
En garçon avisé toutefois, il attendit d’être assez près de la ferme, avant de répondre aux « Iou » stridents, que poussait derrière lui le rôdeur de plages.
Alors seulement, il poussa à son tour un « Iou » sonore.
Iannic-ann-aôd fut sans doute interdit de tant d’audace, car il se tut subitement. Le domestique constata qu’en revanche il s’était fort rapproché. Sa silhouette apparaissait maintenant là-bas, à l’autre bout du sentier, toute noire dans le clair de lune.
Voici les cris de reprendre de plus belle.
Cette fois, le domestique n’y fit écho qu’arrivé au milieu de la cour de la ferme.
Iannic-ann-aôd touchait à ce moment à la barrière.
Il hurlait avec une rage croissante :
— Iou ! Iou ! Iou !
Il y avait de la provocation dans sa plainte.
Le domestique s’était mis à courir vite, vite, aussi vite que s’il avait eu des ailes aux talons.
Parvenu au seuil du manoir, il cria le troisième « Iou », en même temps qu’il refermait le lourd battant de chêne.
Un formidable coup s’abattit du dehors sur la porte ; on eût juré qu’elle volait en éclats. Et la voix du hurleur s’éleva menaçante:
— Passe pour une fois : mais si tu y reviens, je ferais de toi un homme mort!
Le domestique se l'est tenu pour dit.
(Conté par René Alain. — Quimper 1889.)
Tant que restera allumée la lampe qui brûle dans le chœur des églises, le monde est assuré de vivre.
Le jour où Dieu permettra que cette veilleuse s’éteigne dans une église, — une seule ! — c’est que pour les hommes et les choses de la terre l’heure fatale sera venue. La mort de cette petite flamme sera l’intersigne de la mort universelle.
Librement adaptée du conte « le petit forgeron »
Il y avait une fois un jeune homme qui travaillait dans une forge comme apprenti. Un jour, il dit à son patron :
– Vous n'avez pas beaucoup d'ouvrage en ce moment. Payez-moi donc ce que vous me devez et je vous quitterai pour parcourir le monde.
– Comme tu viens de le dire, on ne me donne pas beaucoup de travail et je n'ai pas d'argent pour te payer, mais si tu le souhaites, je peux te donner un marteau magique qui endort quiconque est frappé avec, et toi seul pourras alors le réveiller. Un sorcier me l'a donné en paiement il y a longtemps et il te sera plus utile qu'à moi si tu t'en vas par les chemins.
L'affaire fut conclue et voilà notre jeune forgeron qui part voir le monde.
A la fin de sa première journée de marche, la faim le tiraillait aussi décida-t-il de demander du pain à la première maison qu'il rencontrerait.
Ce fut une petite ferme où on lui proposa de rester un peu et de travailler en échange du gîte et du couvert. Comme le jeune forgeron était fatigué, il accepta pour un temps.
Il dormit mal cette nuit-là. La paille de l'écurie où il était logé n'était pas très fraîche, mais il était mieux là qu'à l'extérieur.
Le lendemain, on lui demanda d'aller réparer une clôture qui avait été abîmée. Il y alla et avait presque terminé quand un géant arriva.
– Comment oses-tu refaire cette clôture qui me gêne quand je chevauche ? gronda-t-il dans un bruit de tonnerre.
– J'ose car c'est ce qu'on m'a demandé de faire, répondit le jeune forgeron.
– Dans ce cas, je m'en vais te tuer, cria le géant en se précipitant sur lui après être descendu de son cheval.
Le petit forgeron sortit son marteau magique et à peine en toucha-t-il le géant que celui-ci tomba immédiatement dans un profond sommeil.
– En voilà au moins un qui a la chance de bien dormir, soupira le petit forgeron. Au moins aurais-je gagné un cheval.
Mais dès qu'il enfourcha la monture du géant, cette dernière s'élança au galop. Il s'accrocha comme il put à sa crinière et se cramponna.
Le cheval l'emmena jusqu'à un magnifique château où il entra. Il tomba alors nez à nez avec un autre géant, plus grand que le premier.
– Que fais-tu là moustique ? Avec le cheval de mon frère en plus ! gronda le monstre. Serais-tu un voleur ?
– Non pas je suis forgeron de mon état. Quant au cheval, c'est votre frère qui me l'a donné en paiement d'un duel où il pensait me vaincre.
– Tu veux dire que toi, moucheron, tu as vaincu mon frère ? Je ne saurai croire telle chose. Tu es donc moucheron et menteur !
– Non point et personne ne me traite impunément de menteur. Affrontez-moi donc si vous l'osez !
Le géant saisit un tronc d'arbre qui se trouvait là et se précipita. Le jeune forgeron l'évita et le frappa avec son marteau. Alors à son tour, le deuxième géant tomba dans un profond sommeil.
Le jeune forgeron put faire le tour du château où il découvrit mille trésors, résultat des rapines des géants dans la région. Mais croyez-moi au pas, ce ne fut pas ce qui retint son attention.
Lorsqu'il arriva dans la chambre des géants, il vit des lits énormes où chaque oreiller faisait la taille de deux hommes l'un sur l'autre. Il en escalada les bords en s'accrochant aux couvertures qui pendaient et s'installa comme un coq en pâte. Jamais il n'avait connu un tel confort !
Après sa nuit blanche dans la paille malodorante et irritante, ce lit de géant avait un avant-goût de paradis.
Il se lova entre l'énorme oreiller et la couverture puis se laissa tomber dans un sommeil réparateur.
Et les géants me direz-vous ? Si vous tendez bien l'oreille, vous pourrez les entendre ronfler encore aujourd'hui.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
Chapitre 13
Conan se précipita vers sa voiture, courant à travers les fourrés et les branches en faisant fi des égratignures qu'il récoltait au passage. Ce n'est que lorsqu'il fut arrivé à son véhicule, retrouvant son portable qu'il y avait laissé qu'il suspendit son geste, le téléphone à la main. S'il en croyait le chien, un meurtre avait été commis. En outre, il n'avait pas de raison de penser que la bête lui avait menti, même s'il se révélait qu'elle était alors sous l'emprise du démon. Ce dernier s'était beaucoup trop amusé à observer sa réaction. Il n'aurait pas autant savouré son acte s'il s'agissait d'un mensonge, surtout un aussi facilement vérifiable.
Quelqu'un avait donc bien été tué, et il était du devoir du policier de le signaler. Mais comment faire ? En appelant le commissariat, signalant un meurtre qui lui avait été révélé par un chien immortel possédé par une âme humaine et un démon ? Même avec la réputation d'alcoolique de Conan, ça risquait d'être difficile à faire passer...
Alors quoi ? Un appel anonyme ? Ça ne changerait rien. Pire, ça créerait encore plus de suspicion envers la personne prévenant du méfait. S'ils découvraient ensuite qu'il s'agissait de lui, il aurait d'autant plus de mal à se justifier...
En outre, l'inspecteur avait beau savoir qu'un crime avait eu lieu, il n'avait pas d'autres informations. Il ignorait qui était la victime, où se trouvait son corps et, le plus important, qui l'avait tuée.
Amer, Conan reposa son téléphone et démarra, prenant le chemin de son appartement. Il savait que quelqu'un avait été tué, sans doute brutalement, et il n'avait aucun moyen d'en informer quiconque. Il allait devoir attendre que le corps soit retrouvé puis feindre la surprise. C'était un sentiment nouveau pour l'inspecteur, que de se sentir impuissant à ce point, et il n'appréciait pas.
De retour chez lui, il consulta sa montre ; deux heures et demie du matin. Fatigué, il s'allongea sur son lit, sans même prendre la peine d'enlever ses vêtements.
Pourtant, malgré l'heure, le policier ne parvint pas à s'endormir. Tout ce qu'il avait appris, en très peu de temps, tournait sans cesse dans sa tête : La magie existait, un chien noir immortel possédait deux âmes, une congrégation de sorcières vivait à à peine une heure de route de chez lui...
Conan se redressa d'un coup. Les sorcières ! Évidemment ! Il avait d'abord cru qu'il n'avait aucune information sur le meurtre, ce qui était faux ! Puisqu'il savait qui la créature traquait, il savait au moins où commencer à chercher !
Le policier s'apprêtait à repartir aussi sec, avant de se raviser. Ça ne changeait rien à son problème concernant la manière dont il justifierait ce qu'il savait auprès des collègues. Cela lui coûtait, mais il allait devoir attendre le lendemain. Il devrait se rendre au club de vacances sous un faux prétexte ( un objet quelconque oublié par exemple ) et observer qui manquait parmi les employées. Avec un peu de chance, il trouverait une excuse crédible pour signaler la disparition, ce qui amènerait au cadavre.
Heureux d'avoir enfin un début de solution, tout en étant frustré de ne rien pouvoir en faire pour le moment, Conan prit cette fois la peine de se dévêtir avant de s'allonger. Malheureusement pour lui, le fait de se forcer à ne pas penser à ce qui allait se passer dans quelques heures fit dériver son esprit vers autre chose, d'encore moins agréable : la trace de sabot brûlant dans la morgue.
L'inspecteur n'avait jamais été quelqu'un de croyant, ni même de spirituel au sens large. Il avait toujours pensé que si Dieu existait, ça ne faisait de toute façon pas une grande différence. La guerre existait, les meurtres, la violence, la mort...tout ça se trouvait sur terre et peu importe que ce soit l’œuvre d'une puissance supérieure ou non, cela occupait suffisamment les humains pour qu'ils n'aient pas à se torturer l'esprit avec autre chose.
Maintenant la preuve empirique de l'existence à minima du Diable changeait la donne. Même en supposant qu'il était le seul des deux à exister ( hypothèse que le policier ne trouvait pas franchement plus rassurante ), cela signifiait qu'il existait un lieu de damnation éternelle pour ceux qui s'étaient mal conduits.
Cette pensée perturbait Conan, plus qu'il ne voulait l'admettre. Rudoyer des suspects alors même qu'ils n'avaient pas encore été déclarés coupables n'était sans doute pas suffisant pour l'expédier en Enfer, mais s'il en allait autrement pour d'autres de ses actes ? Dans l'armée, il n'avait jamais rien fait qui ait été illégal, cependant peut-être que le grand patron ne verrait pas les choses du même œil, s'Il existait...
L'inspecteur secoua la tête, s'admonestant de penser à des choses pareilles. Rien de ce qu'il avait fait ne serait suffisant pour le damner et quand bien même, il n'y pouvait rien pour le moment. En revanche, alors qu'il se posait toutes ces questions, une créature assoiffée de sang continuait à se balader dans la nature, et avait tué encore une fois sans qu'il puisse l'arrêter.
Les considérations théologiques attendront, pensa Conan. Je travaille pour protéger des humains, pas pour me faire bien voir du barbu suprême.
Légèrement moins anxieux à cette pensée il finit par s'endormir, profitant d'un sommeil sans rêves bienvenu.
Quand il se réveilla, quelques trop courtes heures plus tard, il se savait prêt à faire ce qui devait être fait.
Prenant une douche rapide et enfilant ses vêtements, il remplit sa flasque avant de partir. Presque plus de médicaments. Il allait bientôt devoir se réapprovisionner. D'un autre côté, à quoi servaient des médicaments quand on savait que des chiens pouvaient parler et que le Diable existait ?
Démarrant sa voiture, il prit la route vers le club de vacances de feue Brigitte William.
Quand il y arriva, le policier fut accueilli par un spectacle étrange ; devant la grille, hors du lieu de villégiature, attendaient plusieurs des employées, visiblement depuis un certain temps déjà. De l'autre côté se pressaient plusieurs clients, manifestement contrariés. La cause de l'irritation des deux partis était claire ; la grille était fermée.
Marchant jusqu'à l'employée la plus proche, Conan la secoua sans ménagement par l'épaule, la forçant à se retourner.
– Hé, qu'est-ce qui se passe ?
La jeune femme était sur le point de protester mais quand elle vit à qui elle avait affaire, elle baissa les yeux.
– Je n'en sais rien. Personne n'en sait rien. Le portail devrait être ouvert depuis une heure déjà, sauf qu'apparemment Mélanie n'est pas là. C'est étrange, ça ne lui ressemble pas d'être en retard. Elle est toujours très à cheval sur ce genre de choses...
– Mélanie ? Qui est-ce ?
– Mélanie Glaudi, la réceptionniste. Depuis que madame William a dû...s'absenter, elle est la seule à garder les clés avec elle.
Ce qui signifie qu'elle est la dernière à partir, donc la plus facile à prendre pour cible, pensa Conan. Son instinct lui disait qu'il venait d'apprendre l'identité de la victime du meurtre que le molosse noir avait évoquée.
– Vous savez où habite cette Mélanie ? Si elle a un petit ami ou quelque chose comme ça ?
– Non je n'en sais rien et même dans le cas contraire je refuserais de vous...
Conan gifla l'employée si fort qu'il sentit ses dents claquer sous sa main. Heureusement pour lui, le tumulte provoqué par les collègues de la jeune femme ainsi que les vacanciers fit que son acte passa inaperçu, sans quoi il aurait pu avoir des problèmes qu'il n'aurait pas été d'humeur à résoudre pacifiquement.
– Écoute bien sorcière, je n'aurais sûrement pas la patience de me répéter. Je me casse le dos depuis bientôt deux semaines à traquer une créature que VOUS avez lâchée sur ce monde, pour éviter que tes sœurs et toi ne finissiez les tripes à l'air. Dis-moi ce que je veux savoir avant que je ne fasse en sorte que le monstre qui en a après vous ne devienne le cadet de tes soucis...
Tenant sa joue qui commençait déjà à rougir, son interlocutrice lui lança un regard si plein de haine que l'inspecteur aurait presque pu en être effrayé, s'il n'avait pas été aussi excédé. Finalement, elle baissa le regard.
– Elle habite à Quimper, au 1862 de la rue Jean Jaurès. Je ne crois pas qu'elle ait quelqu'un dans sa vie, mais je ne peux pas en jurer.
Le policier la planta là, sans rien ajouter. Il retourna à sa voiture puis prit la direction de l'adresse qu'on venait de lui indiquer.
Quand il arriva devant la maison, il vit qu'elle était bien plus grande et agréable à l’œil que ce à quoi pouvait prétendre un salaire de réceptionniste.
La magie n'a pas l'air de servir aux sorcières qu'à libérer des monstres incontrôlables, pensa Conan.
Il frappa à la porte, attendit quelques secondes...rien. Il frappa encore, plus fort cette fois pour être certain d'être entendu, appuya même sur la sonnette, patienta...toujours rien.
En essayant d'ouvrir, l'inspecteur constata que la porte n'était pas verrouillée. Bien que ce fut contraire au règlement ainsi qu'à la loi, il décida d'entrer. Si on lui posait des questions, il n'aurait qu'à affirmer qu'elle était déjà ouverte et qu'il avait souhaité vérifier que tout allait bien...
Posant prudemment un pied à l'intérieur dans le hall d'entrée, Conan prit son arme et écouta attentivement. Aucun son ne se faisait entendre, toutefois cela ne voulait pas dire qu'il n'y avait personne...
Un pas après l'autre il progressa à l'intérieur des lieux, faisant attention à ne pas faire grincer la moindre latte de parquet sous son poids. De la lumière provenait de la pièce se trouvant tout au fond du couloir, passant par l’entrebâillement de la porte.
Le policier s'en approcha suffisamment pour coller son oreille au battant, retenant sa respiration...toujours rien, pas le moindre bruit. En revanche, une odeur désagréable émanait de la salle, des remugles métalliques à la fois âcres et douceâtres. L'odeur du sang, mélangé à autre chose. Quelque chose de familier.
Donnant un coup de pied dans la porte, Conan braqua son arme devant lui, le doigt sur la détente. Sa première pensée face au spectacle se présentant à lui fut qu'une excuse à base de cris entendus ne serait sans doute pas suffisante.
La pièce entière était recouverte de sang, du sol au plafond. Les murs, les fenêtres, même les meubles en étaient couverts, leur donnant une étrange teinte carmin. La couche de fluides et d'organes tapissant les vitres était telle qu'elle empêchait presque la lumière du jour de passer dans ce qui se révéla être une salle à manger.
Le tapis était pour sa part constellé de morceaux épars de chair humaine ; foie, reins, intestins, peau, fragments de cuir chevelu...Conan crut même discerner dans ce chaos de viande morte un globe oculaire.
Ce n'est qu'alors que son regard se porta sur la table se trouvant au centre de la pièce. Le corps était posé dessus, si tant est que le peu qu'il restait de ce qui avait été un être humain puisse encore être considéré comme un corps...
Le ventre était ouvert, les tripes sorties et répandues sur le sol, l'autre œil ne tenait plus que par miracle, de la peau avait visiblement été mâchonnée en plusieurs endroits tandis que des os saillaient ou avaient entièrement percé l'épiderme...
Tout dans cette carcasse misérable attestait de la sauvagerie avec laquelle le crime s'était déroulé. Tout prouvait à quel point la créature haïssait les sorcières et, par corollaire, à quel point il appréciait de les faire souffrir.
Malgré ce qu'elles lui avaient fait, malgré le fait que ce monstre était entièrement leur faute, Conan ressentit une profonde pitié pour ce qui se trouvait face à lui. Personne ne méritait un sort si horrible.
L'inspecteur allait quitter les lieux pour prévenir ses collègues de ce qui s'était passé, quand quelque chose attira son regard, un léger éclat se détachant d'une masse de chair informe posée contre un des pieds de la table. Avec précaution, il sortit un mouchoir de sa poche pour récupérer l'objet sans le toucher.
Il s'agissait d'un morceau de métal tout à fait banal, pourtant il rappelait quelque chose au policier, sans que ce dernier ne se souvienne de quoi il s'agissait exactement. De forme légèrement arrondie, les légères cassures qu'il présentait prouvait qu'il s'agissait d'un élément d'un objet plus important.
Conan regarda, aussi attentivement qu'il le pouvait au vu des circonstances, si la victime portait des bijoux. Pas de montre, pas de collier ni même de bague.
Ce truc aurait donc été perdu par notre meurtrier ? pensa l'inspecteur.
Vu sa taille ainsi que son état, il y avait peu de chances qu'on trouve autre chose que du sang de la victime dessus, mais c'était déjà un début. Peut-être la médico-légale découvrirait-elle une empreinte, au moins partielle.
Jetant un dernier coup d’œil dans la pièce pour voir si quelque chose d'autre lui sautait aux yeux, le policier constata qu'il n'y avait rien de plus et sortit pour contacter ses collègues.
Ces derniers arrivèrent une quinzaine de minutes plus tard, toutes sirènes hurlantes. Marlotte fut le premier à descendre de son véhicule, suivi de près par Thomas et Baptiste.
– « Ramenez-vous en vitesse, il y a eu un meurtre au 12 rue Jean Jaurès », c'est un peu maigre comme explication, fit l'inspecteur anglais à Conan. Qu'est-ce que tu peux nous dire d'autre avant qu'on entre ?
– Qu'à ta place je n'aurais pas mis des chaussures ayant l'air de valoir aussi cher. Suis-moi, la scène parle d'elle-même.
Le policier amena ses collègues à l'intérieur, leur détaillant son excuse quant au fait qu'il était celui ayant signalé le crime.
– Cette fille bossait au club de vacances où j'ai passé la semaine, elle était la réceptionniste. Ce matin, je me suis rendu compte que j'avais oublié quelque chose dans mon mobile-home et je suis allé voir si personne ne l'avait retrouvé. Quand je suis arrivé, les grilles étaient fermées sans que personne ne sache pourquoi. J'ai poliment demandé à une autre employée ce qu'il se passait, elle m'a dit que la petite ayant les clés n'était pas venue travailler. Comme elle a ajouté que ça ne lui ressemblait pas, j'ai demandé son adresse pour m'assurer que tout allait bien. C'est comme ça que je l'ai trouvée.
Heureusement, aucun de ses interlocuteurs n'avait l'air de trouver à redire à son histoire. Le seul à prendre la parole fut Marlotte, qu'un détail avait interpellé.
– Est-ce que ta « politesse » avec l'employée risque de nous causer des problèmes ?
Conan ricana.
– Je me suis assuré que non, ne t'inquiète pas.
Ils arrivèrent enfin face à la porte de la salle à manger. Quand le policier l'ouvrit, tous ses collègues eurent soit un mouvement de recul, soit une grimace de dégoût. Baptiste semblait même sur le point de tourner de l’œil.
– Je vous présente Mélanie Glaudi, du moins ce qu'il en reste...
Marlotte pénétra dans la pièce, suivi des autres. Quand Thomas passa au niveau de Conan, celui-ci l'arrêta.
– Avant de vous appeler, j'ai trouvé ça sur la victime. Ne t'en fais pas, j'ai fait attention à ne pas le toucher directement.
Il sortit le mouchoir plié de sa poche, dévoilant le morceau de métal à son ami.
– Étrange, fit le médecin légiste. Je n'ai aucune idée de ce que c'est, pourtant je suis prêt à jurer que j'ai déjà vu ça quelque part...
– Ça m'a fait la même sensation. C'est sans doute quelque chose de très courant, qu'on croise tous les jours sans y faire attention, mais ça n'a pas l'air d'appartenir à la victime. Je pense que c'est notre tueur qui l'a perdu.
Thomas prit l'objet pour le déposer dans un sachet plastique.
– Je vais voir ce que je peux trouver dessus, mais il ne va pas falloir s'attendre à des miracles.
Le médecin soupira.
– Je crois que je vais encore devoir me débrouiller seul avec ce cadavre là. Vu comme Baptiste se triture les mains, il ne me sera pas d'une grande aide...
Il avança jusqu'à la carcasse et commença à sortir ses instruments. Au même moment, Marlotte revint près de Conan.
– Tu ne peux pas aider plus, Kerouac. Il vaudrait mieux que tu rentres au bureau pour commencer à taper ton rapport. Avec un meurtre d'une telle sauvagerie, la hiérarchie va sans doute vouloir s'impliquer, surtout si quelque chose devait filtrer dans les journaux.
En d'autres circonstances, l'inspecteur aurait envoyé bouler son collègue anglais, toutefois il ne s'en sentait pas la force. Pas aujourd'hui, pas après une telle découverte. Il se contenta donc d'acquiescer et retourna vers sa voiture, prenant la direction du commissariat.
Liza Roztrenn, du manoir de Kervénou, était la plus jolie fille de paysan qui marchât dans toute la paroisse du Faouet, et même dans les paroisses d’alentour.
Elle était fiancée depuis quelques mois à Loll ar Briz, un jeune homme de Plourivo, qui la venait voir une fois par semaine, le dimanche.
Liza Roztrenn avait l’humeur gaie et plaisante. Loll l’aimait d’un amour trop grave, à son gré ; aussi l’entreprenait-elle souvent, et il n’était pas d’espièglerie qu’elle ne s’amusât à lui faire.
Il y avait à Kervénou une petite servante, pour le moins aussi espiègle que Liza. Elle aidait sa maîtresse à lutiner le pauvre Loll. Quand celui-ci arrivait au manoir, le dimanche matin, il était rare que Liza fût là pour le recevoir. La petite servante se chargeait d’expliquer au galant l’absence de sa fiancée, et lui débitait à ce propos les histoires les plus invraisemblables. Or Liza était tout simplement allée se cacher au grenier ou derrière le tas de paille, dans la cour.
Elle se montrait tout à coup, au moment où, désappointé, Loll s’apprêtait à reprendre le chemin de Plourivo. C’étaient alors chez les deux écervelées des éclats de rire sans fin.
Loll ne tardait pas à se dérider lui-même, tout en reprochant à son amoureuse de gaspiller en enfantillages un temps qu’il eût été si bon de passer à se dire de douces choses. Mais Liza était incorrigible.
Un samedi soir, elle dit à la petite servante, avec qui elle couchait :
— Quelle farce drôle pourrions-nous bien faire demain à Loll ar Briz ?
— Dame ! répondit la petite servante, il faudrait en tout cas inventer quelque chose de nouveau, car nos anciennes ruses sont éventées presque toutes.
— C’est aussi mon avis. Écoute, Annie (c’était le nom de la petite servante), il m’est venu une idée. Je voudrais voir si Loll m’aime vraiment autant qu’il le dit. Quand il arrivera demain et qu’il te demandera où je serai, tu lui répondras, avec un visage tout triste : « Hélas ! Elle s’en est allée à Dieu ! Plus jamais vous ne la verrez en ce monde. »
— Vous ferez donc la morte, Liza ?
— Précisément.
— On prétend que cela porte malheur.
— Bah ! Une plaisanterie innocente... Rien que pour juger si Loll aurait peine de cœur en me croyant perdue.
— Soit, repartit Annie.
Elles passèrent une grande moitié de la nuit à organiser le complot.
Le soleil du lendemain se leva. Nos deux folles s’en allèrent à la messe matinale, comme elles en avaient l’habitude, depuis que Loll ar Briz avait été admis à faire sa cour à Liza. Celui-ci pouvait ainsi passer le temps de la grand’messe en tête-à-tête avec sa promise, le reste du personnel de la ferme se rendant au bourg pour assister à l’office. Au deuxième son des cloches, vieux parents, domestiques, porcher, tout le monde s’acheminait vers le Faouet. Il ne demeurait au manoir que Liza et la petite servante. C’était le moment que Loll choisissait pour faire son apparition.
Dès que les deux jeunes filles se virent seules, ce dimanche-là, elles s’empressèrent de mettre à exécution le projet médité la veille. Liza Roztrcnn s’étendit tout de son long sur la table de la cuisine, la tête appuyée à la miche de pain qui se trouvait, comme c’est l’usage, au haut bout, près de la fenêtre, et qu’enveloppait une nappe fraîche, sortie de l’armoire le matin même.
Sur le corps de Liza, la petite servante jeta un drap de lit. Puis elle alla s’asseoir sur le banc étroit qui court le long des meubles dans la plupart des fermes bretonnes.
Le troisième coup de la grand’messe venait de sonner.
La vibration des cloches s’éteignait à peine, que Loll ar Briz
parut dans le cadre de la porte ouverte.
— Bonjour et joie à vous, Annie ; où est Liza, votre maîtresse ?
— C’est mauvais jour et tristesse que vous devriez dire, Loll ar Briz, fit, d’un ton larmoyant, Annie l’espiègle.
— Qu’y-a-t-il donc, que vous parlez de la sorte ?
— Il y a que ma maîtresse ne sera pas votre femme, Loll ar Briz.
— Voulez-vous signifier par là que je ne suis plus de son goût ? Ou bien, depuis dimanche dernier, est-il venu quelque nouveau galant qui m’a déplanté ?
— Liza Roztrenn ne sera pas votre femme ni celle d’aucun homme. Liza Roztrenn est maintenant auprès de Dieu !
— Morte ! Liza !... Prenez garde, Annie. Toute plaisanterie n’est pas bonne à faire.
— Mais regardez donc du côté de la table ! Soulevez le drap, et voyez ce qu’il y a dessous !
Le jeune paysan devint tout pâle. De quoi la petite servante s’amusa fort, au dedans d’elle-même. Il alla au drap, le souleva, et recula épouvanté.
— Hélas ! Ce n’est que trop vrai ! s’écria-t-il.
— Loll, prononça Annie en s’efforçant de garder son sérieux, n’avez-vous pas entendu dire que des amants avaient ressuscité leurs amoureuses mortes, en les prenant sur leurs genoux, et en leur donnant un baiser ? Si vous essayiez de ce remède !...
— Malheureuse ! Vous osez plaisanter encore ! !
— Essayez, vous dis-je, et ne vous fâchez pas. Tenez, je vais vous aider.
Elle se leva du banc où elle était assise. Mais elle ne se fut pas plus tôt approchée de la table, qu’elle faillit tomber à la renverse.
Liza Roztrenn avait réellement au cou la couleur de la mort. Ses yeux agrandis n’avaient plus de regard.
— Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! hurla par trois fois la pauvre Annie... Ça, Loll ar Briz, prêtez-moi donc secours... Mettons-la sur son séant... Je vous jure qu’elle est vivante... Elle ne peut pas être morte !...
Si ! Liza Roztrenn était morte, et bien morte. Les efforts réunis de Loll ar Briz et d’Annie la servante ne servirent qu’à tourmenter un cadavre.
Le lendemain, on enterrait dans le cimetière du Faouet la jolie héritière de Kervénou.
Il est probable que son fiancé s’en consola à la longue.
Mais la petite servante en resta folle.
Conté par Jean-Marie Toulouzan , piqueur de pierres, Port-Blanc. Recueilli par Anatole Le Braz.
Vers 1856, trente-deux personnes affrétèrent une gabarre pour se rendre par mer au pardon de Benn-Odet, à l’embouchure de la rivière de Quimper. Le temps était beau.
La traversée de la baie se fit sans encombre. Mais à l’entrée des Vire-Court, en face de Lanroz, la barque chavira,
probablement par suite d’une fausse manœuvre.
Ce naufrage fit grand bruit en son temps. Plusieurs années après, le souvenir en était encore présent à toutes les mémoires, et les bateaux qui descendaient la rivière se gardaient avec soin des parages où l’accident avait eu lieu. Ils avaient souvent grand peine à s’en écarter. Une sorte de fascination sinistre les y attirait. Plusieurs même y
sombrèrent par la suite. A chaque disparition de ce genre,
les marins de Quimper se murmuraient entre eux, à voix basse, sur le port :
— Ah ! Vous voyez,... vous voyez !... Les anciens se sont fait remplacer... C’est des nouveaux qu’il faut se défier maintenant.
(Conté par René Alain. — Quimper, 1889.)
Histoire improvisée.
Il était une fois, à l'époque où il y en avait encore, un pauvre paysan qui voulait devenir chevalier et parcourir le monde à la recherche d'exploits à accomplir. Il avait aussi sans doute dans l'idée de découvrir quelque trésor afin de faire fortune, mais cela n'apparaissait pas clairement dans ses motivations.
Tout le monde savait qu'un chevalier se devait d'avoir une armure sinon sa durée de vie était courte. Notre paysan décide donc de s'en fabriquer une avec des morceaux d'écorce d'arbre car c'était tout ce qu'il avait à sa disposition.
Il monte ensuite sur son vieux cheval et se dirige droit vers la forêt de Huelgoat réputée pour être enchantée.
Il ne tarde pas à y rencontrer des kornikaneds, ces lutins cornus des bois chevauchant renards, lèvres et blaireaux et qui s'arrangeaient pour vous garder sur le bon chemin en soufflant dans un petit cor qu'ils portaient en bandoulière. Ils ne le faisaient pas par bonté d'âme mais pour ne pas que vous vous perdiez et passiez trop de temps dans leur forêt. Moins ils voyaient les humains et mieux ils se portaient.
Ce n'est donc pas d'un bon œil qu'ils voient arriver le paysan et son armure d'écorce sur son vieux cheval.
– Pique ta monture, lui disent-ils. Tu es sur le bon chemin et mieux vaut sortit au plus vite de la forêt pour ne pas y faire de mauvaises rencontres !
– Et s'il me plaît à moi de prendre tout mon temps, répond le paysan. Vous semblez bien pressés de me voir partir.
– En effet, tu n'es pas le bienvenu ici. Va-t-en !
– J'ai plutôt envie de rester et me construire une cabane au contraire, les lieux ont l'air accueillants et vous n'avez pas les moyens de me faire partir.
– Dans ce cas, tâchons de trouver un arrangement. Qu'es-tu venu chercher ?
– Un exploit à accomplir pour me permettre de devenir chevalier.
– Nous ne pouvons pas te faire devenir chevalier, mais nous pouvons te donner une épée magique qui te sera bien utile dans ce but et nous connaissons un endroit où il y a un exploit à accomplir. En échange tu déguerpis, qu'en penses-tu ?
– L'affaire est faite, topez là !
Ils topèrent. Les kornikaneds allèrent chercher l'épée magique et lui remirent. Ils lui indiquèrent ensuite un chemin qu'il devait suivre pour accomplir le destin qu'il s'était choisi.
Le pauvre paysan prit la direction qu'on lui indiquait et ne tarda pas à arriver en lisière de la forêt devant un champ au milieu duquel se trouvait un donjon. En haut de ce donjon, à l'unique fenêtre, une princesse accoudée appelait au secours tandis qu'en
bas, une vieille sorcière lui lançait des pommes de pin avec un lance-pierre pour essayer de la faire taire.
Le paysan donna des coups de talon dans les flancs de son vieux cheval pour le lancer au galop mais il n'obtint qu'un trot pas très convaincu.
Voyant arriver ce drôle d'équipage, la sorcière éclate de rire. La princesse, le voyant à son tour commence à récriminer :
– Quoi ? C'est ça mon sauveur ? Mais de qui se moque-t-on ? Passe ton chemin manant ! Va nu pieds ! Laisse donc ta place à un vrai chevalier ! De quoi aurais-je l'air avec un sauveur ainsi accoutré !
Mais le paysan voulait vraiment devenir chevalier et un chevalier ça affronte les sorcières pour libérer les princesses retenues prisonnières !
Alors il sort son épée magique et redonne des coups de talon dans les flancs de son vieux cheval qui, au lieu de partir au galop, se cabre et le fait tomber avant d'aller brouter un peu plus loin.
La sorcière éclate de rire encore plus fort puis se transforme en un dragon noir et menaçant.
Le paysan se relève et, malgré ses fesses endolories, se lance à l'attaque en courant. Plusieurs fois il manque de tomber en se prenant les jambes dans les plaques d'écorce qui lui servent d'armure, mais vaille que vaille, il combat la sorcière et parvient à la vaincre et la blesser.
Cette dernière redevient humaine et, reconnaissant sa défaite, le laisse pénétrer dans le donjon.
Le paysan commence à gravir l'escalier monumental qui doit l'amener à la pièce de la princesse.
Depuis le haut de la rampe, cette dernière l'admoneste :
– Dépêche-toi donc ! C'est pas possible de voir ça ! Qui est-ce qui m'a foutu un empoté pareil !
Cette fois, le paysan en a assez. Il préfère redescendre.
Voyant la sorcière blessée assise au pied du mur, il la prend en pitié et la soigne. Puis, pris d'une inspiration soudaine, il lui demande si avec tous ses pouvoirs elle pouvait devenir une belle jeune fille.
– Bien sûr dit-elle, et de lui montrer aussitôt.
Le paysan lui propose alors de devenir sa femme quitte à ce qu'il ne devienne jamais chevalier. La sorcière accepte car il l'a quand même bien fait rire.
Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants comme on dit pour terminer une histoire qui finit bien.
Et la princesse ? me direz-vous. Elle doit être encore en train d'attendre son prétendant dans son donjon, à moins qu'elle n'ait décidé de descendre le grand escalier et de rentrer chez elle puisque plus personne ne la gardait prisonnière.
Chapitre 12
Conan eut beau rouler à fond de train, il faisait déjà nuit quand il parvint à l'orée des bois du Yeun Elez. Il consulta sa montre après s'être garé. Minuit moins le quart.
En sortant, l'inspecteur ne put retenir un léger frisson. La nuit était bien plus fraîche qu'il ne l'aurait pensé, à moins que ce ne fut la vue de l'endroit dans lequel il allait passer les prochaines minutes qui faisait courir une sueur froide le long de son échine.
Sous l'effet du vent nocturne, les branches se pliaient, se contorsionnant tels des bras décharnés aux doigts crochus tentant d'attraper tout ce qui aurait le malheur de passer à leur portée. Les nuages recouvrant la lune projetaient de larges taches de ténèbres sur le sol, créant l'illusion de flaques de pure noirceur dans lesquelles il serait possible de s'enfoncer et disparaître si l'on avait la malchance d'y poser le pied. L'ombre de la forêt, créée par les frondaisons épaisses des arbres, semblait pouvoir receler n'importe quoi en son sein. Les différents craquements provenant de l'obscurité, communs à cette heure de la nuit et avec un tel temps, prenaient des échos sinistres, évoquant les claquements et ricanements de créatures attendant patiemment le prochain imprudent.
Conan ressentait un malaise, presque une peur, comparable à celle que lui avait procurée les bois près de son mobile-home, au club de vacances de Brigitte William. C'était désagréable, toutefois cela prouvait aussi qu'il avait vu juste ; quelque chose se trouvait dans ces bois, quelque chose de non-naturel. Il ne lui restait plus qu'à espérer que dans ce cas, « non-naturel » ne serait pas synonyme de « hostile ».
Le policier but une rasade de sa flasque et, prenant une grande inspiration, emprunta le sentier menant au cœur du Yeun Elez.
Conan n'aurait su dire depuis combien de temps il marchait. Il aurait pu regarder sa montre, cependant il avait l'impression que cela aurait été...malvenu. Il ne se sentait pas de faire autre chose que de continuer à avancer, dans un silence seulement rompu par des bruits d'animaux et de végétation, se concentrant uniquement sur son objectif. Il ne savait pas où chercher, le chien étant celui qui l'avait trouvé la dernière fois, mais au moins il savait qu'il était au bon endroit. Une sensation glacée dans chacun de ses os, assez semblable à ce qu'il avait ressenti lors de son cauchemar, avant sa première rencontre avec l'animal, le lui hurlait.
Pour l'instant, il n'avait d'autre choix que de continuer. Peut-être la chance allait-elle lui sourire...
Après encore quelques minutes, l'inspecteur déboucha sur une clairière. Les nuages s'étaient quelque peu dissipés, laissant passer un timide rayon de lune qui éclairait le décor d'une lueur blafarde. Cela était dû au vent qui avait forci, refroidissant encore plus Conan malgré sa veste.
Décidant qu'il s'agissait sans doute du meilleur endroit pour trouver ce qu'il cherchait, le policier se plaça au centre du lieu et appela aussi fort qu'il osa.
– Je suis là ! Vous disiez qu'il fallait que je vous retrouve avant qu'il ne soit trop tard ! Je suis là maintenant, alors montrez-vous !
À peine eut-il prononcé ces paroles qu'il se sentit stupide. Plusieurs années de métier pour se retrouver finalement à hurler à la lune en plein milieu d'une forêt, attendant la venue d'un chien noir immortel avec une âme humaine...
Toutefois, il devait attendre. La légende que Thomas lui avait racontée, la vengeance des sorcières liée à leurs ancêtres brûlées, le lieu où le corps avait été retrouvé...
Tout finissait immanquablement par ramener à cette créature, d'une façon ou d'une autre. Conan avait du mal à l'admettre, mais il existait en ce monde des choses qu'il n'était pas en mesure d'expliquer. Que personne peut-être ne pourrait jamais expliquer. Ce molosse en faisait partie, et il était la clé de l'énigme.
S'asseyant au pied d'un arbre, le policier attendit. Il écoutait attentivement les bruits qui lui provenaient des bois, tentant de reconnaître les hurlements ayant annoncé la venue du chien la première fois qu'il l'avait vu. Quand il commença à se demander s'il ne ferait pas mieux de rentrer chez lui, il entendit du bruit dans les fourrés sur sa droite.
Anxieux, il porta son regard en direction de là où le son était venu, se tenant prêt à sortir son arme. Il avait beau être venu avec l'idée bien précise de voir le molosse, il ne pouvait être sûr que ses appels n'avaient pas attiré autre chose.
Tendu, la main posée sur la poignée de son arme, il se leva et fit un pas vers le buisson. Il entendit de nouveau un bruit et fut cette fois certain de voir la plante bouger. N'y tenant plus, il combla le reste de la distance et donna un coup de pied au fourré, dans l'espoir de faire sortir ce qui s'y terrait.
Un oiseau s'envola, apeuré. Passé le choc initial, Conan se prit à rire de sa propre frayeur.
– Vous vouliez me voir, me voici, fit une voix dans son dos.
Étouffant un hoquet l'inspecteur se retourna, prêt à tirer. Le chien se tenait devant lui, aussi effrayant que la première fois qu'il l'avait vu. Sa fourrure noire était si sombre qu'elle semblait absorber la lumière et les dents garnissant sa gueule luisaient sous les rayons de la lune.
– En effet, je voulais vous voir, répondit le policier. J'ai besoin de vous.
– Je vous avais dit que vous reviendriez vers moi, bien que je déplore que cela soit si tard. Qu'est-ce qui vous a finalement décidé ?
– La victime du Yeun Elez, la congrégation de sorcières à laquelle elle appartenait, ce qui la traque...Le point commun entre tout ça, c'est vous. Est-ce que vous...savez ce que vous êtes ?
– Je ne saisis pas votre question inspecteur. Voulez-vous savoir si j'ai conscience d'être un canidé ?
– Non. Enfin, pas vraiment. Vous êtes une âme humaine prisonnière du corps d'un chien. Est-ce que vous le savez ?
Le regard de la bête se fit plus lointain. Conan aurait juré y voir de la confusion. Quand elle parla, sa voix était...différente, plus douce.
– Oui...je crois...tout cela...me rappelle quelque chose...mais c'est si...lointain... J'étais...
– Votre nom était Gabriel Collineux. Vous étiez un artisan du dix-septième siècle. Avec l'aide d'un moine perverti, des sorcières ont enfermé votre âme dans le corps d'un chien pour se venger après que vous leur avez refusé l'accès à votre boutique et dénoncé leurs pratiques à vos voisins. Vous vous en souvenez ?
– Oui...non...Je revois ce dont vous parlez, mais...les choses ne se sont pas déroulées ainsi...Mon âme a bien été enfermée dans ce corps de chien, toutefois ce n'était pas pour me nuire. C'était pour me sauver !
– Vous sauver ? De quoi ? Il n'y avait rien de tel dans le rapport que j'ai lu...
– Il y avait autre chose dans mon corps, avec moi...Un esprit mauvais, qui cherchait à se servir de mon enveloppe pour commettre ses méfaits...Je la sentais grandir, jour après jour, sans pouvoir l'arrêter. J'ai demandé de l'aide à l’Église, mais ça n'a rien changé. L'exorcisme qu'ils ont pratiqué n'a fait que mettre cette chose en colère. Sans autre possibilité, je me suis adressé aux sorcières. Elles...
Sa face se fit soudain distordue, affichant une grimace exprimant une rage intense.
– ...ces putains m'ont enfermé dans le corps de ce sac à puces, avec l'aide de leur bâtard de moine ! Qu'ils soient tous maudits jusqu'à la fin des siècles ! Leurs âmes m'attendent en Enfer, où je me délecterai des tortures que je leur infligerai !
Sa voix était différente à nouveau, plus rauque et agressive. Conan avait l'impression de parler à deux entités très différentes. Et si...
– Il n'y a pas une âme en vous, mais deux, n'est-ce pas ? Celle de Gabriel, et celle du démon qui y est restée accrochée. C'est pour ça que vous aviez besoin d'un exorcisme. Le démon pouvait utiliser votre enveloppe humaine pour commettre toute sorte de méfaits. Dans un corps de chien, il devenait moins dangereux. Gabriel n'est pas mort de vieillesse, comme l'indiquait le rapport de Michel le Nobletz. Il a accepté que son âme soit arrachée, à jamais prisonnière sur terre, puisque cela permettait également d'emprisonner celle qui le parasitait...
Une lueur mauvaise dans le regard, le molosse ricana.
– L'humain comprend vite. L’Église ne pouvait rien contre moi. Si je disparaissais, j'emportais l'âme du pauvre petit chrétien dans mon sillage. Alors, pendant l'un des rares moments où je n'avais pas le contrôle, il est allé voir ces catins de sorcières. Quand elles lui ont dit le prix à payer pour débarrasser le monde de ma présence, il a immédiatement accepté. Depuis je suis coincé avec lui, obligé de me déplacer à quatre pattes comme une bête...
Sa face se contorsionna, jusqu'à laisser reparaître le regard bienveillant de son autre personnalité.
– Pardonnez-moi, j'ai parfois du mal à l'empêcher de prendre le contrôle. Cela fait quatre siècles que je lutte contre lui, pourtant ça n'est jamais devenu plus facile. Pas une fois.
– Je ne comprends pas, fit Conan. J'ai vu une preuve que le Diable emportait les corps des sorcières mortes. Si c'est le cas, pourquoi un démon semble tant les exécrer ?
– Le terme de « sorcières » a toujours eu une signification assez large, inspecteur. Il désigne simplement une utilisatrice de la magie. Le Diable ne s'intéresse qu'à celles s'en servant pour des desseins maléfiques. Celles qui utilisent leurs capacités pour venir en aide aux autres, comme celles qui m'ont aidé il y a de cela quatre siècles, ne l'intéressent pas.
– Si leurs ancêtres ont été brûlées vives alors qu'elles essayaient simplement d'aider, ce n'est pas très étonnant que leurs descendantes aient choisi d'emprunter l'autre voie, fit Conan. Mais si je suis venu vous voir, c'est aussi que j'ai besoin d'une information. Je ne sais qu'une chose à propos de la créature qui attaque les sorcières. Il s'agit d'un de vos descendants. Si vous ne m'aidez pas à l'arrêter, il va bientôt devenir incontrôlable. Enfin, encore plus que maintenant.
– Vous m'en voyez navré, cependant je ne peux pas vous aider, j'en ai peur, répondit le molosse.
Le policier crut avoir mal entendu.
– Pardon ? Comment ça, vous ne pouvez pas m'aider ? Vous pouvez bien me dire quelque chose sur vos descendants, non ?
– Malheureusement non. Voilà bien longtemps qu'ils ont quitté cette terre. Plus de deux siècles je crois. Je ne sais ni où ils sont allés, ni ce qu'ils sont devenus.
Conan crut déceler un léger changement dans la physionomie de l'animal.
– Attendez...fit l'inspecteur. Est-ce que je suis toujours en train de m'adresser à Gabriel ? Ou est-ce que vous êtes...l'autre ?
La bête fit ce qui ressemblait à un sourire pour elle.
– C'est bien moi inspecteur. Je ne peux pas vous blâmer, les résidents de l'Enfer sont connus pour être particulièrement menteurs...
– Justement, fit le policier, commençant à perdre patience. Qu'est-ce qui me prouve que ce que vous venez de dire est la vérité ? Ça ne répond pas à ma question...
– Ce n'est pas comme si vous aviez le choix inspecteur, répondit la créature. Vous allez devoir me faire confiance, si vous souhaitez que je vous aide à arrêter ce qu'il est advenu de mon descendant.
– En quoi est-ce que vous pourriez m'aider ? Vous venez déjà de dire que vous ne saviez rien de ce qui était arrivé à votre famille.
– En effet, moi non. Cependant, être deux âmes liées dans un corps immortel offre certaines...possibilités. Je vais m'entretenir avec des âmes errantes, leur demander s'ils ne pourraient pas me renseigner sur ce que les miens sont devenus. Peut-être même pourrais-je trouver l'âme d'un de mes descendants...
– Et combien de temps ça prendra ? Je suis obligé de vous rappeler que nous n'avons pas vraiment le luxe de lambiner...
Le visage de la bête se contorsionna à nouveau.
– Estime-toi heureux que je ne t'arrache pas la gorge sur le champ pour boire ton sang, misérable vermine du Créateur ! Je devrais te tuer pour avoir seulement...
Nouveaux spasmes.
– ...pardonnez-moi. Si je ne suis pas constamment attentif, il peut reprendre les rênes très rapidement. Pour vous répondre, oui, cela va prendre du temps. Plusieurs jours, au minimum. Les anaons1 peuvent être difficiles à trouver, même quand on sait où chercher.
Conan soupira.
– Je suppose que je n'ai pas le choix. J'espère simplement que je ne me trompe pas en vous faisant confiance...
Ce n'est qu'alors que le policier se souvint de quelque chose que le molosse lui avait dit, une chose à laquelle il n'avait pas fait attention sur le coup.
– Attendez...vous avez dit tout à l'heure que vous regrettiez que je ne vienne vers vous qu'aussi tard. Pourquoi ?
Le visage du chien se tordit, affichant un rictus mauvais. Visiblement, le démon venait de reprendre le contrôle.
– Peut-être pas si vif que ça l'humain, après tout. Il vient seulement de s'en rendre compte...
La patience de l'inspecteur commençait à s'épuiser, mais à cela s'ajoutait également une certaine inquiétude qui ne faisait que croître.
– De quoi est-ce que je dois me rendre compte ? Parle !
– Tu n'as pas les moyens de m'ordonner quoi que ce soit, stupide bipède, mais je vais tout de même te répondre. Uniquement parce que cela m'amuse. Le bon chrétien n'est pas le seul à ressentir les âmes dans ce corps. L'un des avantages d'être lié au monde des morts, c'est que cela donne certaines...connaissances en ce qui concerne l'après-vie. Outre le fait de discuter avec les anaons, que tu connais déjà, je peux également savoir quand quelqu'un passe l'arme à gauche, surtout si cela a eu lieu de manière violente...Ajoute à cela ma nature de démon, qui me permet de savoir quand quelqu'un s'amuse en commettant un des péchés capitaux édictés par le stupide barbu du Ciel, et...
Il laissa sa phrase en suspens, mais Conan eut soudain peur de comprendre.
– Tu veux dire que...
L'animal ricana.
– Ah, je vois à tes yeux que tu as enfin saisi. Une personne est morte ce soir, dans la terreur, le sang et les hurlements. Déchiquetée, par quelque chose qui y a pris un immense plaisir, quelque chose qui cherchait à se venger. Je ne sais pas ce qu'est la créature que tu traques, mais je peux t'affirmer qu'elle a tué, cette nuit. Tu ferais bien de te dépêcher. Vu la satisfaction que je crois déceler chez elle, elle va sans doute accélérer la cadence...
1Terme breton désignant les esprits errants.
Librement adapté du récit « les deux frères » conté en 1880 par Auguste Macé, de St Cast.
Il y avait une fois une femme qui avait deux jumeaux. Comme elle n'était pas riche, elle allait dans la forêt chercher du bois pour se chauffer, et elle emportait toujours ses enfants avec elle. Cela lui permettait aussi de faire cuire son pain, pour le plus grand plaisir de ses jumeaux qui restaient assis près du four rien que pour le plaisir de sentir l'odeur du pain en train de cuire.
Un jour qu'elle venait de ramasser ses bûches, elle vit accourir un ours. Elle eut grand peur et, laissant là son bois, prit ses enfants sous ses bras puis s'enfuit. Mais en courant, elle laissa tomber un des jumeaux et, sentant l'ours juste derrière elle, n'eut pas le courage de s'arrêter pour le récupérer.
Elle ne parvint pas à dormir cette nuit-là, inconsolable qu'elle était d'avoir abandonné son petit garçon. Le lendemain, lorsqu'elle retourna dans la forêt à l'endroit où son fils était tombé, elle ne vit aucune trace de sang.
L'ours, après avoir reniflé l'enfant, l'avait emporté dans sa tanière et confié à sa femelle qui l'éleva comme un de ses oursons. Un an plus tard, le garçonnet était aussi poilu que sa famille d'adoption, marchait à quatre pattes et montrait une force hors du commun.
L'autre jumeau qui était resté chez sa mère grandit, et, quand il eut vingt ans, il déclara :
« Je vais partir chercher mon frère dans la forêt car je suis sûr qu'il n'est pas mort. »
Il prit un cheval et un sabre puis se rendit dans les bois. En chemin, il rencontra des bûcherons qui le mirent en garde : une bête énorme sévissait dans les environs, si forte que plusieurs soldats envoyés par le roi pour la tuer n'avaient pu ni la prendre, ni lui faire mal.
Cette fameuse bête, il la rencontra au détour d'un petit chemin, en train de gratter le sol. Sans trop réfléchir, il se rua sur elle, sabre au clair. La lutte dura pendant deux heures mais les coups de sabre qu'il donnait ricochaient sur la peau poilue de la bête dure comme la pierre. De son côté, la bête ne parvint pas non plus à le blesser.
Alors, de guerre lasse, ils s'assirent l'un à côté de l'autre. Le jeune homme sortit un morceau de pain de sa besace et en mangea.
Chose étrange, la bête semblait montrer de l'intérêt pour son pain. Elle lui fit comprendre par des gestes et des attitudes qu'elle ne voulait plus lui faire de mal. Elle voulait juste un morceau de pain, de son pain.
Lorsqu'il lui en donna un bout, elle le prit avec mille précautions puis le renifla longuement comme s'il s'était agi de la chose la plus précieuse au monde. Elle le lécha puis le mordilla, le mangeant doucement en prenant tout son temps.
Le jeune homme mit une chaîne autour du cou de la bête qui se laissa faire puis la ramena chez lui.
Sa mère, effrayée par l'aspect du monstre, reprocha à son fils d'avoir perdu du temps avec cette créature plutôt que de poursuivre les recherches sur son frère.
Le jeune homme reconnut ses torts et lui promit de repartir le lendemain avec la créature comme alliée ce qui lui faciliterait certainement la tâche.
La mère accepta l'idée à la condition que la créature restât dehors.
Ainsi fut fait. La créature fut attachée à un anneau dans le mur devant la maison. Lorsqu'elle vit par une des fenêtres que le jeune homme se lavait et se rasait, elle devint agitée et frappa à la vitre, faisant de grands signes qu'elle aussi voulait être rasée.
Le jeune homme, pour la calmer, fit ce qu'elle demandait. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir sous les poils un garçon qui lui ressemblait traits pour traits: son frère !
Leur mère cria de joie en découvrant ses deux fils à nouveau réunis. Ils dînèrent tous les trois dans l'allégresse puis le second fils retrouva son lit après vingt ans d'absence. Il avait encore du mal à parler et à se comporter comme un humain, mais lorsqu'il s'allongea sur le matelas, il oublia d'un coup le confort primitif de son antre, allongea ses jambes sous les draps, ramena sa grosse couverture en laine sur lui et s'endormit du sommeil du juste.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
Qui se fie à la mer se fie à la mort. Qui meurt en mer, meurt donc toujours par sa faute. C’est pourquoi les noyés, qu’ils aient péri volontairement ou non, restaient faire pénitence à l’endroit où ils avaient été engloutis, jusqu’à ce que d’autres viennent se noyer à la même place. Alors seulement, ils étaient délivrés.
Sur la route de Quimper à Douarnenez se trouve la tombe d’un nommé Tanguy.
Il périt en cet endroit, assassiné.
On ne passe jamais devant le tertre de terre sous lequel il est enseveli, sans y planter une petite croix qu’on improvise à l’aide de quelque branche coupée aux haies voisines.
Qui manque à cette pratique risque de faire mauvaise rencontre en route et de mourir, comme Tanguy, de male mort.
Chapitre 11
Conan était si pressé de se rendre chez celui qu'on lui avait indiqué qu'il prit la route aux premières lueurs de l'aube, encore à moitié endormi. Heureusement, son état de fatigue lui fit oublier de boire son mélange avant de prendre le volant, sans quoi les choses auraient été encore plus compliquées.
Il arriva devant le portail marquant l'entrée de la propriété aux environs de huit heures du matin, se garant dans l'allée de graviers qui serpentait aux travers des jardins pour conduire jusqu'à l'édifice. La maison était belle, une grande bâtisse évoquant un de ces manoirs qu'on avait vus fleurir chez les gens de goût au dix-neuvième siècle, influencés par le romantisme noir et le pessimisme de l'époque.
L'endroit affichait même une tour, dominant les jardins par son toit conique. Les pelouses étaient taillées proprement, agrémentées çà et là de haies sculptées pour donner naissance à des animaux végétaux. Conan eut un léger frisson en jetant un regard sur un loup aux crocs nus, avant de se diriger d'un pas ferme vers la maison.
Il frappa à la porte, attendant patiemment une réponse. Vu l'heure à laquelle il arrivait et l'âge supposé de la personne qu'il venait voir, l'inspecteur se doutait qu'on ne lui répondrait pas immédiatement.
Après quelques minutes un homme vint ouvrir, les yeux encore légèrement embrumés par un réveil trop matinal. Ses cheveux gris coupés court attestaient de son âge, cependant ses gestes étaient alertes et précis.
– C'est à quel sujet ?
– Police. Je suis actuellement en train d'enquêter sur une affaire de grande importance, or un informateur m'a indiqué que je pourrais trouver ici des renseignements capables de m'orienter vers le coupable que je poursuis. Puis-je entrer monsieur Nobletz ?
Son interlocuteur eut un petit rire.
– Vous pouvez entrer, sauf que je ne suis pas monsieur Nobletz. Il est mon patron. Mon nom est François Guizot, j'officie comme intendant sur le domaine. Voyez-vous, monsieur n'est plus de première jeunesse, et il est très attaché à cet endroit. Il a toujours refusé de le voir péricliter, alors il y habite, et il m'emploie pour que cela n'arrive pas.
– Il est si vieux que ça ?
– Quatre-vingt quatorze ans cette année, pour peu que je ne me sois pas trompé dans mes derniers calculs, fit une voix depuis l'intérieur de la maison.
Descendant un escalier au bout d'un long corridor, apparut la silhouette d'un vieillard voûté. Même en s'aidant d'une canne, il marchait en boitant, faisant de tout petits pas. L'homme frêle, engoncé dans des vêtements de nuit presque trop grands pour lui, avait des cheveux blancs clairsemés lui tombant en désordre sur les épaules. Son visage était marqué par les rides et arborait une paire de petites lunettes dont la monture était dorée.
Il était assurément d'un âge canonique pourtant, quand il se fut suffisamment approché, Conan put voir dans ses yeux perçants que son esprit n'avait rien perdu de sa jeunesse.
L'inspecteur tendit la main vers le nouvel arrivant, instinctivement respectueux de la sagesse qu'il décelait chez lui.
– Monsieur Nobletz je suppose ? Conan Kerouac, police de Quimper. Je viens vous demander si...
– ...si vous pouvez avoir accès à mes archives, j'imagine ? J'ai pu entendre une partie de votre conversation avec mon ami François. Je n'ai aucun souci à vous donner accès à la collection de mon ancêtre, cependant il vous serait profitable de me dire ce que vous cherchez. Il y a là-haut plus de quatre cents ans de documents portant sur une myriade de problématiques ayant trait à notre belle région. Or, puisque vous êtes là pour enquêter, je présume qu'il vous faut perdre le moins de temps possible.
Conan hésita un peu, avant de finalement choisir de dire la vérité au vieillard. Même s'il devait passer pour fou, le policier avait besoin de toute l'aide qu'il pouvait obtenir.
– J'aurais besoin de consulter les compte-rendus des procès de sorcellerie s'étant déroulés il y a quatre siècles. J'ai de bonnes raisons de penser que mon affaire pourrait être liée à l'un d'eux.
Simon Nobletz se gratta le menton.
– Hmmm...même avec ces précisions, cela risque de prendre un moment. La Bretagne est une région qui a toujours été très superstitieuse, aussi les suspicions de sorcellerie ainsi que d'actes occultes y ont perduré avec plus de ténacité que n'importe où ailleurs en France.
Il laissa éclore un sourire sur ses lèvres.
– Mais je ne m'inquiète pas ! Je vais vous aider et ensemble, je suis certain que nous trouverons ce dont vous avez besoin !
Il se tourna vers son intendant.
– Si quelqu'un me demande, dites-lui s'il-vous-plaît que je suis indisponible toute la journée. Ah, et ayez la gentillesse de nous monter du café aussi. La recherche risque d'être longue.
François acquiesça et disparut dans la maison.
– Si vous voulez bien me suivre...dit Simon en se dirigeant vers l'escalier par lequel il était arrivé.
Conan lui emboîta le pas. Après un trajet plus long qu'il ne l'aurait été avec quelqu'un au mieux de ses capacités physiques, le duo arriva au bout d'un long couloir, devant une unique porte. À en juger par l'aspect des murs, ils se trouvaient devant la tour.
Simon chercha quelques secondes dans ses poches avant d'en tirer une clé, qu'il introduisit sans difficulté dans la serrure avant de la tourner. La facilité avec laquelle s'était déroulée toute l'opération prouvait que le vieillard venait souvent ici, tout comme le fait qu'il avait les clés dans ses vêtements de nuit. Finalement, il poussa le battant de bois et s'effaça pour laisser entrer l'inspecteur.
Le policier n'avait jamais eu une passion immodérée pour la littérature, qu'il avait toujours trouvé trop...abstraite. Il préférait avoir devant les yeux ce qu'il était censé voir. Pourtant, il ne put retenir un sifflement d'admiration en pénétrant dans la bibliothèque du manoir ; de longs rayonnages recouverts de volumes plus ou moins épais montaient jusqu'au plafond de la tour, chacun agrémenté d'un système d'échelles et d'escaliers mobiles permettant à n'importe qui d'accéder aux étagères les plus hautes, même à quelqu'un d'aussi vieux que le propriétaire des lieux.
La salle contenait également plusieurs tables et bureaux, ainsi que de nombreuses chaises. La plupart des meubles étaient recouverts d'ouvrages, poussiéreux ou non, à l'exception notable de deux fauteuils en cuir placés devant un âtre ayant visiblement beaucoup servi. Quelques fenêtres perçaient les murs circulaires de la pièce, chacune en un endroit précis afin que quelque soit l'heure du jour, la lumière du soleil éclaire sans tomber sur aucun des livres présents, afin de ne pas les endommager.
Simon Nobletz s'arrêta quelques secondes sur le seuil, visiblement fier comme au premier jour de l'impression que tout l'endroit créait.
– Voici, je pense pouvoir le dire sans trop m'avancer, la plus belle pièce de tout le domaine. À tout le moins, il s'agit de ma préférée.
Il appuya sur un interrupteur, éclairant un peu plus l'endroit tandis que des nuages cachaient le soleil au dehors.
– Je regrette un peu qu'un endroit au charme si désuet soit pourvu de l'électricité, mais je ne vais sans doute pas vous apprendre qu'en Bretagne, il est...hasardeux de ne s'éclairer qu'avec l'astre du jour. Il vaut mieux un système moderne jurant un peu avec l'ambiance générale que de prendre le risque de s'éclairer à la bougie dans un endroit regorgeant de vieux papiers, vous ne pensez pas ? Je suis déjà assez anxieux chaque fois que je veux lire devant un bon feu !
Conan acquiesça discrètement. Plus que la magnificence de la bibliothèque, c'était sa taille ainsi que la somme de connaissances qu'elle renfermait qui l'impressionnaient. S'il n'avait pas su, au moins en partie,ce qu'il était venu chercher, il n'aurait pas eu assez du reste de son existence pour étudier tous les documents présents ici !
Se laissant glisser dans un des fauteuils devant la cheminée, Simon laissa échapper un soupir de contentement.
– Bien. Maintenant que nous sommes dans le saint des saints de ma demeure, il est temps pour nous de nous mettre au travail. Malheureusement, ma force physique n'étant plus vraiment ce qu'elle était, je crains que vous ne deviez vous occuper de la manutention des ouvrages. Je vais vous indiquer lesquels renferment peut-être ce que vous cherchez, puis vous n'aurez qu'à les apporter ici et vous installer dans l'autre fauteuil. Nous nous répartirons ensuite les tâches. Je vous demanderai simplement d'être délicat, certains de ces volumes pourraient bien tomber en poussière à la seconde où nous les ouvrirons !
Il commença à énumérer les titres des volumes qui les intéressaient, indiquant ensuite sur quelles étagères ils se trouvaient. Conan s'attendait à ce qu'il y en ait un certain nombre, pourtant quand il en fut à son troisième voyage entre les rayonnages et le poste d'étude, les bras chargés de livres, il commença à se demander si le vieillard ne se moquait pas de lui.
Finalement, après encore deux lourds cahiers, Simon Nobletz indiqua qu'ils avaient tout ce qu'il leur fallait.
– En tout cas, voici tous les rapports et compte-rendus de crimes liés de près ou de loin à l'occulte s'étant déroulés dans la région il y environ quatre siècles, fit-il. Puisque nous ne disposons pas d'une période plus précise, je pense que nous pouvons nous contenter dans un premier temps d'une tranche de trente ans.
Sans rien ajouter, il ouvrit le premier des volumes posés sur ses genoux et commença à déchiffrer les pattes de mouche en vieux français inscrites à l'encre noire sur le papier jauni. Avec un léger soupir quant à la masse de travail qui l'attendait, même aidé, l'inspecteur lui emboîta le pas.
Les heures s'écoulaient lentement, très lentement. Les textes en eux-mêmes n'étaient déjà pas passionnant, mais l'ancien français dans lequel ils étaient écrits rendait en plus leur lecture fastidieuse. Le policier se souvenait de certains de ses cours de littérature au lycée, dans lesquels il avait dû lire Gargantua en langue originale, aussi parvint-il à se débrouiller, bien qu'il dut parfois demander l'aide de Simon Nobletz afin d'être sûr de ce qu'il venait de lire.
Conan apprit de nombreuses choses sur la manière dont vivaient les gens en Bretagne il y a quatre siècles, mais rien vraiment à même de l'intéresser. En revanche, il fut épaté par le nombre de méfaits susceptibles d'envoyer une personne au bûcher. Il suffisait que quelqu'un soit accusé d'être sorti de chez lui en pleine nuit et que s'ajoute à ça un témoignage comme quoi une vache avait donné du lait tourné le matin suivant pour que l'individu soit condamné à être brûlé.
Heureusement, les choses n'étaient pas si...expéditives qu'on aurait d'abord pu le penser et bien souvent, l'accusé voyait sa peine commuée.
Les deux premiers volumes ne présentèrent que peu d'intérêt pourtant, dès que l'inspecteur commença le troisième, alors même que le jour était bien entamé, il sentit que celui-ci était...différent des autres. Il y avait dans son écriture plus de gravité, un ton plus sérieux encore que dans les précédents. Intrigué, le policier commença à parcourir les pages quadricentenaires, tentant de reformuler le plus clairement possible ce qu'il lisait :
Je soussigné Michel le Nobletz, prédicateur du village de Douarnenez et membre du très saint ordre de Saint François d'Assises, en cette année 1615, sain de corps et d'esprit, certifie que les lignes suivantes ne relateront que la vérité, la seule vérité, au regard de la justice des hommes autant que de celle de Dieu le père, au fils mort sur la croix pour expier les péchés du genre humain.
Il m'est encore difficile d'admettre la véracité de ce que je suis sur le point de consigner, tant toute cette affaire représente un défi détestable à l'autorité de notre Seigneur sur la Terre.
Le cas qui me fut rapporté fait état d'une partie plaignante en la famille Collineux ainsi que d'une partie accusée en les personnes de Miriam Bolée, Anna Glaudi, Jeanne Barral et Marguerite William. Les membres Collineux, ci-après définis sous l'appellation plus concise de « plaignants », accusent les quatre individus de sexe féminin, ci-après référées sous la dénomination « accusées », d'actes de sorcellerie ainsi que de commerce avec les forces du Malin et de tout ce que cette dernière assertion présuppose, tel que la fornication, la sodomie, la profanation de sépulture, le sacrifice d'enfants nouveaux-nés...
La liste des perversions pouvant être commises à des fins d'allégeance envers le Démon est presque sans fin, aussi joindrai-je à la fin du présent document les extraits du 'Malleus Maleficarum' des très estimés Henri Institoris et Jacques Sprenger afin d'apporter des éclaircissements que les bonnes mœurs et le salut de mon âme immortelle m'enjoignent de ne pas divulguer présentement.
Les faits se seraient produits aux alentours de minuit, dans la nuit du vingt-trois au vingt-quatre juin, soit la nuit de la Saint-Jean que les pratiquants des arts obscurs et démoniaques estiment comme particulièrement propice à leurs sombres entreprises. Ont été rapportées par un témoin fiable, par ordre de gravité des offenses commises envers Dieu le père : L'égorgement d'un mouton noir sous la lumière de la lune, la préparation de potions et la profération de malédictions à l'encontre de plusieurs notables du village tels que le bailli, le docteur et moi-même à l'aide du sang de la bête sacrifiée sus-évoquée, la pratique du péché de chair en groupe, à laquelle s'ajoute la circonstance aggravante d'accomplissements d'actes saphiques et enfin le meurtre de sang-froid d'un nourrisson né deux jours auparavant.
Sous le témoignage de bonne foi, réalisé la main droite posée sur la parole de notre Seigneur, du très estimé Richard Collineux, maître artisan de Plomodiern, les quatre femmes ont été arrêtées avant d'être soumises à la Question, aux bons soins du frère Jean s'étant acquitté de sa tâche avec un zèle admirable ayant permis l'obtention de nouveaux éléments auxquels le témoin sus-mentionné n'avait pu assister, du fait selon ses dires de la répugnance provoquée chez lui par ce qu'il avait déjà vu.
Le saint châtiment de Dieu le père permit en effet, le jour du procès, d'entendre de la bouche des accusées elles-mêmes l'aveu d'autres commerces obscurs, dont le plus notable fut celui ayant trait à la souillure de l'âme du bon chrétien qu'était Gabriel Collineux, père du témoin, ayant rejoint le royaume de Dieu du fait de son grand âge quelques jours seulement auparavant.
Il apparaît que les accusées, souhaitant se venger des actes chrétiens du bon sieur Gabriel qui, ayant décelé en elles les marques de l'entente avec le Démon, leur avait refusé l'entrée de sa boutique et avait prévenu ses voisins, ont accompli un rituel ayant pour but d'empêcher l'âme du défunt de retourner aux cieux. Elles furent aidées en cela de la main exécrable de l'ancien moine Augustin, jésuite défroqué à la suite de péchés graves parmi lesquels la luxure et la gloutonnerie. Ce-dernier, pour se venger de son ordre, accepte chaque tâche détestable lui permettant de mépriser le seigneur. Il aurait prêté un concours non négligeable à l'accomplissement du rituel, à l'aide notamment d'un ouvrage recelant les incantations et pratiques de la sainte Église dans le cadre de la tenue d'exorcismes, qu'il aurait dérobé au presbytère avant son renvoi des ordres.
Pervertissant la cérémonie sacrée de l'exorcisme, il l'aurait modifiée afin non plus de bannir l'âme noire d'un démon ayant pris possession d'un corps humain, mais d'enchaîner dans un corps avilissant de chien l'âme immortelle du bon Gabriel Collineux. Il fut aussitôt ordonné de retrouver le scélérat afin qu'il puisse lui-aussi être livré à la Question, cependant il est toujours en fuite à l'heure de l'écriture de ce compte-rendu.
Bien que la non-présence du principal accusé dans ce pan de l'affaire et l'absence de témoins directs rendirent initialement un peu plus difficiles à juger ces éléments, le fait qu'ils aient été avoués sous la Question et par corollaire le regard de Dieu le père rend invraisemblable toute possibilité de falsification. Il fut donc décidé, à la lumière des témoignages, des aveux ainsi que des preuves apportées, de punir du bûcher tous les membres de cette sinistre cabale, Dieu ait pitié de leurs âmes impies. La sentence a été diligemment exécutée, à l'exception regrettable mais prévisible de celle du moine Augustin, qui n'a toujours pas été retrouvé pour le moment.
J'ai aussi envoyé des équipes dans les marais du Yeun Elez, là où on raconte que la créature renfermant en son sein l'âme immortelle du regretté Gabriel a été vue pour la dernière fois, sans succès pour le moment. Les bois sont trop profonds, le terrain trop traître, les hommes ne peuvent y mener une traque efficace.
Le molosse noir ayant servi malgré lui de réceptacle aux commerces obscurs de cette assemblée misérable reste donc hors de portée. Je le regrette profondément, puisque cela signifie également que le bon chrétien Gabriel Collineux sera tenu hors du royaume céleste pour encore un moment. Un malheur qu'aucun bûcher châtiant les païens n'est en mesure de rectifier.
Conan était estomaqué. Un chien noir ? Immortel ? Avec une âme humaine ? Dans les marais du Yeun Elez ?! Il y a encore quelques jours, le policier n'aurait eu que du mépris pour ce genre de piste mais avec tout ce qu'il avait traversé, à plus forte raison quand il avait déjà eu la preuve que des forces obscures étaient intervenues dans toute cette histoire, il ne pouvait pas laisser de côté une telle chance de progresser.
À l'exclamation de surprise de l'inspecteur, Simon Nobletz releva avec un sourire la tête du volume qu'il étudiait.
– Je déduis de ce transport soudain que vous fûtes plus chanceux que moi et avez trouvé ce que vous cherchiez, mon jeune ami.
– En effet, répondit Conan en se levant précipitamment et en regardant sa montre.
La nuit allait bientôt tomber. Puisque sa première rencontre avec le molosse noir avait eu lieu pendant les heures nocturnes, il n'était pas absurde de penser que c'était à ce moment de la journée qu'il avait le plus de chances de le retrouver.
– Je vous remercie profondément monsieur Nobletz, mais je dois maintenant vous quitter. Ce que je viens d'apprendre implique aussi que je n'ai pas de temps à perdre !
– Je comprends parfaitement, répondit le vieillard. Allez-y, je demanderai à François de m'aider à ranger. N'hésitez pas à revenir me voir si vous avez encore besoin d'informations, j'ai apprécié d'avoir de la compagnie autre que celle de mon intendant !
Remerciant une nouvelle fois son hôte, le policier se précipita hors du manoir, jusqu'à sa voiture, et démarra en trombe pour quitter la propriété, prenant le chemin des marais du Yeun Elez.
Quand il fut parti, Simon regarda à quelle page l'inspecteur s'était arrêté, curieux de savoir ce qui avait attiré son attention. Il la parcourut silencieusement, jusqu'à ce que finalement un sourire éclose sur ses lèvres.
– Le chien noir du Yeun Elez, hein ? Il y avait longtemps que je n'en avais pas entendu parler. Qu'est-ce qui peut pousser un membre des forces de l'ordre à s'y intéresser ?
L'homme gloussa, connaissant déjà la réponse. Il avait été témoin de suffisamment de choses dans sa vie pour savoir qu'il y avait plus dans le monde que ce qui était purement visible. Il sentit naître en lui la certitude qu'il reverrait bientôt l'inspecteur Conan Kerouac...
Il y a longtemps, à l'origine du monde, la Bretagne n'existait pas. C'est difficile à croire mais c'est ainsi. C'était l'époque où le Créateur venait de terminer de créer le monde, l'époque où le grand dragon primordial survolait majestueusement les flots du premier océan dans lequel la vie commençait à peine à se développer.
Le Créateur observa son œuvre et parvint finalement à la conclusion que quelque chose manquait. Certes, il y avait la terre et l'eau, mais l'eau n'était pas encore nourricière et la terre était également difficile à travailler.
Les premiers hommes passaient leur temps à travailler sans prendre celui de rêver ou d'admirer la Création. Ils devaient en outre sans cesse chercher à se protéger du grand dragon qui venait régulièrement détruire leur maison, leur bétail et tous les efforts qu'ils avaient faits pendant l'année pour essayer de survivre.
Hélas, le merveilleux de la Création était justement concentré dans cette créature extraordinaire qu'était le grand dragon. Le Créateur dut bien admettre qu'il avait fait là une erreur qu'il lui fallait corriger.
Il repéra un homme du nom de Mickael qui préférait la musique aux travaux des champs et le dota de deux ailes blanches immaculées.
Mickael s'éleva dans les cieux tout neufs et vit à quel point la Création était digne de louanges. Il vit aussi les ravages que le dragon primordial provoquait partout où il passait. Ces ravages étaient renforcés par le fait qu'à son contact, les hommes avaient un bref aperçu du merveilleux de la Création et que leur frustration était grande lorsqu'ils retrouvaient l'âpreté de leur vie après que le dragon ne soit reparti.
Mickael en conçut une grande tristesse. Le Créateur lui envoya alors l'inspiration pour qu'il compose la plus belle musique qui soit : une musique qui refléterait la beauté de la Création, les cycles de la Nature en cours d'élaboration, le parfum des fleurs et la majesté de l'océan.
Mickael prit sa harpe, s'envola et se mit à jouer. La terre répondit à son appel et les fleurs sortirent du sol, bientôt rejointes par les abeilles et les papillons. Les arbres se couvrirent de fruits qui évitèrent aux hommes de trop travailler.
Le dragon primordial, lui-même fut charmé par cette musique et vint l'écouter. Mickael eut alors une idée. Il redescendit puis vint s'installer aux bords du monde tout en continuant de dispenser le réconfort de sa musique au monde.
Le dragon atterrit à ses côtés et s'allongea pour l'écouter plus confortablement. Mickael ralentit le rythme de ses notes. La mélodie se fit plus lente, plus caressante. Elle s'insinua jusque dans l'esprit du grand dragon, l'invitant au repos. Un repos prometteur de rêves plus magnifiques les uns que les autres.
Le dragon ne comprit pas tout de suite ce qui se passait. Il essaya de résister pendant un long moment car il sentait quand même qu'il perdait le contrôle. Mais Mickael continuait à jouer sans se préoccuper des réactions de la créature. La musique berçait le grand dragon avec une douce chaleur qui lui envahissait tout le corps. La créature finit par se rendre à l'évidence : le sommeil qu'elle allait connaître ne pouvait pas lui faire de mal. Au contraire, elle sentit que ce serait quelque chose de positif. Alors, au bord du monde, le grand dragon se laissa aller et s'endormit. Les années passèrent, puis les siècles et les millénaires. Le grand dragon dormait toujours.
Les arbres poussèrent sur son dos et la lande couvrit ses écailles. Les hommes finirent par oublier que le dragon avait un jour existé et vinrent s'installer sur ce qu'ils pensaient être une nouvelle terre qui s'avançait dans la mer : une péninsule à qui ils donnèrent le nom d'Armorique. Une terre où le Merveilleux semble plus présent qu'ailleurs, et pour cause ! Le dragon dort toujours.
« Et Mickael ? » me direz-vous. Et bien sachez que sur une des collines des monts d'Arrée, en Armorique, se trouve une petite chapelle qui lui est dédiée afin de lui rappeler que depuis là où il se trouve désormais, il doit penser à continuer de jouer sa musique pour maintenir le grand dragon endormi.
Quand vous vous réveillerez
hier ira de l'avant
et demain sera aujourd'hui
d'ici là bonne nuit !
Il est un moyen infaillible de se débarrasser de quelqu'un. C’est d’aller vouer (gwestla) celui que l’on hait à saint Yves-de-la-Vérité.
On fait saint Yves juge de la querelle. Mais il faut être bien sur d’avoir de son côté le bon droit. Si c’est vous qui avez le tort, c’est vous qui serez frappé.
La personne qui a été vouée justement à Saint-Yves-de-la-Vérité sèche sur pied pendant neuf mois.
Elle ne rend toutefois le dernier soupir que le jour où celui qui l’a vouée ou fait vouer franchit le seuil de sa maison.
Lasse d’être si longtemps à mourir, il arrive souvent qu’elle mande chez elle celui qu’elle soupçonne d’être son envoûteur, afin d’être plus tôt délivrée.
Une jeune couturière des environs de Penmarc’h avait une grande dévotion pour l’Ànaon. Un soir qu’elle rentrait de son travail à une heure tardive, elle entendit un remuement et comme des plaintes étouffées dans des broussailles qui bordaient le chemin. Elle demanda : « Qui est là ? ». Personne ne lui répondit. Elle en conclut qu’il y avait là une âme en peine qui avait besoin de secours. Le lendemain, elle se rendit de bon matin à l’église et recommanda une messe « à l’intention de celle des âmes du purgatoire à qui il ne manquerait plus qu’une messe pour être sauvée. »
Il fut fait selon son désir.
Elle assista elle-même à l’office. Comme elle quittait l’église, elle rencontra dans le cimetière un jeune homme tout de blanc vêtu. Ce jeune homme l’accosta et lui dit :
— Vous êtes couturière de votre état, n’est-ce pas ?
— Oui, monsieur.
— Combien gagnez-vous par jour, dans les maisons que vous fréquentez ?
— Douze sous.
— Eh bien ! Si vous voulez en gagner trente, allez à Audierne. Vous verrez une maison blanche au coin de la place. Vous frapperez, vous demanderez la dame de la maison et vous lui direz que vous venez de ma part.
La jeune fille obéit. La dame de la maison la reçut d’abord assez mal.
— Je ne sais de qui vous voulez me parler. Je n’ai chargé personne de me chercher une couturière.
La jeune fille cependant tenait les yeux obstinément fixés sur une broche de jais que la dame portait au cou et dans laquelle était encadrée une miniature.
— Pardon, madame, dit-elle au bout d’un instant, vous avez au cou le portrait de la personne qui m’a envoyée ici.
— C’est impossible ! Ce portrait est celui de mon fils. Voici dix ans qu’il est mort.
— C’est donc votre fils que j’ai rencontré. Je le jurerai par Jésus-Christ et par la Vierge !
La vieille dame se fit alors raconter l’aventure par le menu. La jeune fille ne cacha rien, ni le bruit qu’elle avait ouï la veille dans les ajoncs, ni la messe qu’elle avait fait dire le matin même et au sortir de laquelle elle s’était croisée dans le cimetière avec le jeune homme vêtu de blanc.
La vieille dame comprit qu’elle lui devait la délivrance de son fils. Elle la garda désormais près d’elle et, en mourant, lui laissa tout son bien.
Ayant entendu parler de la Maison des contes et légendes de Cornouaille et de son travail, Mme K., en maison de retraite à Quimper, nous avait envoyés une gentille lettre nous proposant de venir la rencontrer.
Ce fut chose faite le 27 mars 2018 quand notre président se rendit auprès d'elle.
Après avoir évoqué plusieurs légendes de la région la vieille dame bretonne a raconté ce qu'elle savait de la sorcellerie en Bretagne durant sa jeunesse.
Chaque ferme un peu importante, selon elle, possédait un grimoire ou un cahier qui permettait de lancer des sorts ou certaines incantations.
Certains sorts qui étaient reconnus comme tout à fait avérés et efficaces en son temps, incluaient des illusions d'incendie et des choses redoutables que les paysans craignaient d'utiliser même s'ils en avaient l'opportunité.
C'était toutefois rarement utilisé. Le fait qu'un voisin malveillant sache que le grimoire existait protégeait en lui-même la ferme, par une sorte de dissuasion, de toutes velléités de malveillance.
Selon elle, aujourd'hui, sans contester la réalité de ces choses, les gens n'ont plus voulu apprendre ou conserver cette tradition, peut-être par peur de passer pour des simples d'esprit.
Elle pensait quand même qu'en dehors des apparences, le paganisme reste fort en Bretagne.
Toutefois, la disparition progressive des curés ruraux qui savaient aussi énormément de choses et disposaient de livres plus complets que les fermiers dans ce domaine portera sans doute un coup fatal à ce style de traditions.
Un grand merci à Mme K. pour sa gentillesse et nous lui souhaitons la vie la plus longue qui lui soit possible.
Comme vous avez pu le constater, notre page Facebook a été piratée. Douze ans de travaux et de recherches réduits à néant par la volonté d'un nuisible, cela fait réfléchir.
Pour nous permettre de continuer à faire découvrir les contes et les légendes de la Cornouaille bretonne ou les récits qu'elle nous inspire, les éditions du Midland nous ouvrent leur site sécurisé où nous tiendrons désormais le présent blog. Vous y retrouverez chaque jour tout ce qu'il y avait sur notre page Facebook et plus encore.
Alors bienvenue à nouveau en Cornouaille légendaire...
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